A l’avènement du covid-19 début 2020, les entreprises privées comme les gouvernements ont misé très tôt sur la commande publique pour se sauver des effets socio-économiques de la crise sanitaire. C’est une solution théorique largement partagée et soutenue en pratique par une batterie de mesures juridiques et économiques comme l’assouplissement des procédures et du contrôle, la facilitation de la gestion des contrats, le recours à l’endettement, l’encouragement de l’octroi des avances aux titulaires des marchés (vous pouvez revenir à mes écrits et webinaires à ce propos par ici).
La présente analyse interroge la
capacité de la commande publique à remplir pleinement les objectifs de la reprise
économique souhaités, notamment la stimulation de la croissance. Les
mesures anti-covid-19 précitées laissent présager que la commande publique
sauvera l’économie et les entreprises et en conséquence les ménages. En
revanche, le secteur de la commande publique est lui-même affecté par une
double crise :
1. Une crise exogène conjoncturelle
La crise sanitaire a induit une
dégradation significative des recettes fiscales. A titre d’exemple, la détérioration
du solde budgétaire 2020 des comptes de l’Etat en France résulte principalement
de l’évolution négative de la TVA (- 12,2 Md€) et de l’IS (- 11,9 Md€) soit en
montant -37 Milliards d’Euro.
En conséquence, la baisse des recettes
fiscales, nécessaires au financement des investissements publics, va certainement
nuire au bilan physique et financier des plans, programmes et projets publics. Autrement
dit, malgré les efforts gouvernementaux pour la mobilisation du financement
requis, le montant comme le nombre des marchés publics décroissent. A titre
d’exemple, deux études réalisées par le C.M.P. (Centre des Marchés Publics) portant sur
l’évolution de la commande publique au Maroc démontrent que celle-ci a
enregistré un ralentissement significatif durant la période de confinement
mars-juin 2020 et post-confinement juillet-décembre 2020 (vous pouvez
revenir à ces études par ici et ici).
Ainsi, des milliers d’appel
d’offres sont disparus en 2020 par rapport à 2019. Cette baisse annuelle se
solde à -28% pour le secteur du BTP, -30% pour le secteur des services et -21%
pour le secteur du commerce des biens.
La demande envoyée aux TPME y compris les auto-entrepreneurs et
coopératives en 2020 enregistre aussi une baisse évaluée à -24%. Selon, une étude
récente consacrée au premier trimestre 2021, le nombre de la commande publique est
presque quasi-stable en comparaison avec la même période de l’an 2020. Les PME
n’en profitent pas car leur part est diminuée. Il en est ainsi pour le secteur
du commerce des biens. Par contre, sa valeur a diminué (Les conclusions de cette 3ème étude seront bientôt
publiées ici).
Par simple analogie, on ose dire que les
constats précédents sont plus au moins valables pour de nombreux autres pays. Sinon,
la Banque Mondiale confirme que les dépenses publiques dans la région
MENA ont diminué par rapport aux prévisions d’avant la pandémie. Il en est
ainsi pour les recettes publiques.
De notre point de vue, le pire ne
provient pas de la crise extérieure qui frappe la commande publique mais plutôt
de la crise intérieure de la commande publique.
2. Crise endogène structurelle
Il ne faut manquer de constater que la
commande publique porte les germes de sa déficience. Dans de nombreux pays,
notamment émergents et en développement, la commande publique est
confrontée à un ensemble de facteurs de déficience qui la caractérisent, à
savoir :
- Son niveau de financement externe trop élevé ;
- Sa mauvaise gouvernance ;
- Son faible effet d’entrainement.
- Premièrement, le recours massif à
l’endettement par ces pays pour financer les investissements publics est un
signe pathologique qui renseigne sur la faiblesse structurelle de leurs
économies improductives et déficitaires. Ce sont des économies à budget
fiscaliste, vachement endettées afin de subvenir aux besoins énormes de
financement du développement. Selon les
estimations de la Banque Mondiale, la dette publique de l’Egypte par exemple s’élève
à 87,5% du PIB et les intérêts qui en découlent avoisine 9.8% du PIB. A part la
question liée aux coûts économique et politique, cette solution d’endettement
massif interroge les pouvoirs publics sur la gouvernance et l'efficacité de la
commande publique financée par la dette ou par les recettes publiques.
- Deuxièmement, la déficience de
gestion des ressources allouées à la commande publique est étroitement liée à
la mauvaise gouvernance de celle-ci. Il
s’agit ici principalement des questions liées à la transparence, l’intégrité, la
rationalité, la compétence des acteurs, l’accès à l’information, la
participation des citoyens, la réglementation, la durabilité, l’optimisation
des ressources et la régulation. Selon certaines estimations, le coût de la
corruption et de la mauvaise gestion s’établit entre 10 et 30% de la valeur des
projets publics. Il va sans dire que la mauvaise gouvernance est un fléau qui freine
le développement dans le monde.
-Dernièrement, l’inefficacité est le troisième maillon faible de la commande publique. A quoi sert la mobilisation des ressources financières internes et externes si la commande publique ne profite pas comme il faut à l’économie nationale, aux entreprises locales et aux ménages. Cette déficience est établie moyennant un ratio comparant l'évolution du volume de la commande publique et la croissance enregistrée sur une période donnée. Un constat est largement partagé pour de nombreux pays en développement; la commande publique ne concourt pas ou concourt faiblement au développement économique et social et induit une dégradation des comptes externes à cause de l'importation. Elle grève le passif des générations actuelle et future tout en profitant aux économies étrangères et aux entreprises multinationales. La préférence nationale, souvent préconisée, ne peut pas à elle seule corriger ce déséquilibre indésirable.
Malheureusement, la crise sanitaire risque
d’accentuer l’impact de ces trois derniers facteurs. D’une part, la baisse des
recettes fiscales, induite par la crise sanitaire, augmente le recours à
l’endettement et place donc un nombre croissant des pays émergeants et en
développement en situation de surendettement. D’autre part, les mesures exceptionnelles
de simplification des procédures de gestion des marchés publics ne passent pas
sans affecter la qualité de la gouvernance de ce secteur. Les dossiers de
presse rapportent des tas d’exemples de mauvaise gouvernance partout dans le
monde. A titre d’exemple, le Parquet de Bruxelles a ouvert en 2020 une enquête sur d’éventuelles
irrégularités dans la passation d’un seul marché public de 30 millions d’euro ayant pour objet la fabrication et la livraison de 15 millions de masques.
3. Conclusions
La performance de la commande publique
est remise en question à cause de certains facteurs endogènes à caractère
structurel liés à l’endettement, la gouvernance et l’inefficacité
socio-économique de la commande publique. S’y ajoutent d’autres facteurs
exogènes à caractère conjoncturel liés à la crise sanitaire et son impact sur
le bilan physique et financier des investissements publics.
Comment donc un instrument de politique publique si fragile peut remédier à une économie en crise ?
Dans ces conditions, on peut dire que la commande publique est de nature à devenir un levier de sous-développement, indépendamment de l’existence ou non d’une crise économique conjoncturelle ! Il en résulte une sous-performance majeure qui gâche l’argent public, sans profiter pleinement à l’économie domestique.
La priorité des priorités est de
guérir en interne la commande publique pour tirer pleinement parti de ses effets positifs sur
le développement durable ; sinon à quoi bon de verser un filet d’eau sur le
sable.