Le Centre des Marchés Publics (C.M.P.) reprend la publication de ses travaux de recherches et d'études. Le média et la société civile interrogeaient récemment la transparence et la concurrence dans les marchés publics notamment dans le contexte du Covid-19. Ce sujet fait l'objet de cet article analytique. Après une analyse des aspects juridiques de la question, l'auteur repose sur les allégations rapportées par la presse nationale avant de se livrer à un examen pratique, en mettant l’accent sur l'aspect lié au prix des marchés. Son analyse est appuyée par des exemples concrets tirés de la pratique nationale et internationale.
A vous alors ce 2ème article pour lecture, commentaire et participation.
Malgré le repli significatif de la commande publique au Maroc durant la période allant du 20 mars au 30 juin 2020 [cliquer pour lire le résumé de l’étude réalisée par le C.M.P. (Centre des Marchés Publics)], les activités économiques de quelques entreprises sortent moins touchées par la crise. Figurent dans la liste les entreprises qui fabriquent et/ou vendent des consommables et produits médicaux, pharmaceutiques et de laboratoires.
Mieux encore, cette branche d’activité a bénéficié de 2 milliards de dirhams issus du Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du Coronavirus ‘‘Le Covid-19’’ [1]. Ce montant est consacré à la mise à niveau du dispositif médical notamment par l'achat de matériels médicaux, d’équipements de radiologie et de médicaments, entre autres. A titre d’exemple, il a été procédé à l’achat de 1.000 lits de réanimation, 550 respirateurs, plus de 800.000 kits de test [2].
Justement,
c’est l’achat des tests rapides Covid-19 qui a fait couler beaucoup d’encres. Les
soupçons ont frappé aussi des marchés publics de certaines communes relatifs
aux produits désinfectants par exemple [3]. En général, il s’agit des
allégations ayant trait au non-respect des principes de la transparence et de
la concurrence.
Sur le plan juridique, il
faut rappeler que la réglementation marocaine repose sur des règles explicites qui
garantissent
la compétitivité et la transparence des procédures des marchés publics. A titre d’exemple : la
publicité, la publication des estimations, le contrôle des prix et offres
excessifs et anormalement bas, l’ouverture des plis et enveloppes par une
commission et en séances publique, le visa préalable à l’engagement, etc. [4]. Ce
sont des règles strictes dont la violation constitue des infractions
financières sanctionnées par la loi.
Cependant, avec l’arrivée de la pandémie du Covid-19 au Maroc, il s’est avéré que ces règles ne sont pas toutes adaptées à l’état d’urgence sanitaire décrété. A ce moment, les pouvoirs publics ont mis en place des nouvelles mesures qui tentent de réadapter la réglementation des marchés publics aux circonstances de la pandémie. Parmi ces mesures exceptionnelles et provisoires, il y a lieu de citer : le choix selon l’opportunité de la procédure de passation dont l’appel d’offres, la procédure négociée ou le bon de commande sans limitation du seuil, l’abandon de la publicité sur support papier des journaux, la tenue à huis clos des réunions des commissions d’ouverture des plis, la désactivation du contrôle externe de régularité exercé par les contrôleurs financiers sur les marchés des établissements publics soumis au contrôle préalable, etc. [voir notre article pour plus d’informations sur ces mesures].
Pour
les marchés du Ministère de la santé, les nouvelles modifications
dérogent une fois pour toute au décret de 2013 en ce qui concerne les
dispositions relatives aux marchés négociés et bons de commande. Elles dérogent
aussi au décret relatif au contrôle des dépenses de l’Etat [5]. [Les modifications réglementaires
concernant les marchés du ministère de la santé feront l’objet d’un article
dédié]
Force
est de constater que ces mesures dérogatoires n’offrent pas, sur le plan de
principe, les mêmes garanties de transparence et de concurrence en comparaison
avec la réglementation du droit commun. La preuve -une seule preuve, mais
suffisante pour convaincre- c’est que la quasi-totalité de ces mesures
dérogatoires constitue des infractions sanctionnées par la Cour des comptes
dans le cadre de la réglementation du droit commun.
Sachant que l’objectif de l’analyse de ce régime réglementaire dérogatoire nous aide à comprendre les informations et soupçons liée à la concurrence et à la transparence relevés par la presse nationale et la société civile.
En arrivant au plan « journalistique », il est important de rappeler que les allégations rapportées par la presse concernent le caractère onéreux des prix, le non-respect des procédures, le conflit d’intérêts, l’opportunité de certains achats et les achats clandestins qui fuirent les procédures de droit commun au nom de l’état d’urgence.
Par
exemple, l’article du journal le Desk soupçonne le prix d’un marché conclu par
le Ministère de la santé d’être excessif. Pour lui, « le lot n°1 de la
commande passée à Masterlab (soit 1 million de tests sérologiques IgG) a été
négocié au prix unitaire de 99,50 DH, alors qu’un contrat d’achat pour un
produit identique a été signé en France entre le fabricant Abbott et un
laboratoire privé à environ 50 DH l’unité pour à peine 10 400 tests ».
De sa part, le Ministère de la santé a diffusé un communiqué sur ce sujet. Il
précise le prix d’achat de 2 millions de tests est fixé par la société au
niveau mondial et correspond aux prix payés par plusieurs pays européens et
asiatiques, ayant toutefois acquis des quantités plus importantes allant de 6 à
10 millions de tests.
A
vrai dire, ce n’est pas facile d’analyser ces affaires au fond car nous ne
disposons pas des données exhaustives sur les marchés en question. Mais ça
n’empêche de dire un mot sur la question des prix des marchés publics en
général pour éclairer le lecteur, sans avoir l’intention de trancher en faveur
de telle ou telle partie dans ces affaires.
Sur
le plan pratique, il faut
rappeler que les dysfonctionnements liés à la concurrence et la transparence des
marchés publics ne sont pas nouveaux et limités au seul contexte covid-19. Au
fait, les rapports de contrôle et d’audit mettent en avant la persistance de ce
genre de problèmes parmi d’autres. Nous ne délivrons pas des exemples pour
illustrer ces propos ; les constats émanant des instances officielles
largement accessibles sont suffisants [6].
Concernant
en particulier la question des prix des marchés publics, nous croyons qu’il est
difficile d’examiner la différence des prix entre deux marchés sous le seul
angle de la comparaison de leurs montants respectifs. En
général, la formation des prix est libre et le fonctionnement de la concurrence
est contrôlée par les pouvoirs publics en vue de stimuler l’efficience
économique et d’améliorer le bien-être des consommateurs. A cet effet, il est
prévu des sanctions à l’encontre des auteurs des pratiques
anti-concurrentielles, conformément à la loi n° 104-12 relative à la liberté
des prix et de la concurrence. L’affaire des sociétés marocaines des
hydrocarbures, instruite et jugée récemment par le Conseil de la Concurrence, est
un bon exemple qui illustre la régulation des prix et de la concurrence dans
une économie libérale. Il en est ainsi pour l’affaire de la société Maroc Télécom instruite et jugée par l’ANRT.
Ce n’est pas tout. Sur le terrain, le prix d’une prestation non réglementée varie en fonction d’une vingtaine de facteurs objectifs (sans compter les facteurs subjectifs). A titre d’exemple :
- Les stipulations contractuelles comme par exemple celles relatives à la qualité, aux quantités, aux lieux et modalités d’exécution et de livraison et aux Incoterms. Ces éléments influencent le dimensionnement des prix ;
- Le prix d’achat d’un produit standard distribué dans le commerce diffère de celui d’un produit fabriqué spécialement pour le maître d'ouvrage sur la base des caractéristiques non-courantes qu’il exige. Il en est ainsi pour l’exigence d’un produit fabriqué à l’étranger en comparaison avec un produit fabriqué localement ;
- Le régime fiscal et douanier entre aussi en jeu. Nous partageons le cas d’une société marocaine qui opère dans le domaine médical. Elle a conclu un marché pour la vente des appareils médicaux d’occasion à un hôpital public situé dans un pays d’Afrique subsaharienne. La négligence d’une taxe risquait de lui coûter une grosse perte. Heureusement, un arbitrage administratif lui a permis d’échapper à cette perte. Dans un autre marché, une société et un acheteur au Maroc se jettent la responsabilité pour déterminer qui, d’entre eux, doit supporter une différence de prix de plusieurs millions de dirham (perte pour l’une ou surcoût pour l’autre). Derrière ce litige, une clause contractuelle relative au régime douanier et fiscal applicable aux produits importés dans le cadre de l’exécution du marché;
- La répartition des risques constitue aussi un facteur déterminant dans la fixation des prix. L’exemple du barrage de la renaissance en Ethiopie nous offre un exemple parmi plusieurs. Le remplissage de ce barrage est une activité critique sur le plan opérationnel car en dépend des opérations d’essai du bon fonctionnement des installations notamment des turbines hydrauliques. Les obligations de réception et de garantie en dépendent aussi. La question du management des risques trouve son plein intérêt dans cet exemple. Quelle est la partie qui doit supporter les risques liés à l’exploitation du barrage si son remplissage n’est pas effectué selon le calendrier prévu pour des motifs naturel (sécheresse) ou politique (comme la crise avec l’Egypte et le Soudan). Ce n’est pas la réponse qui nous intéresse ; mais important est de savoir que la répartition des risques-comme ceux liés à l’exploitation de ce barrage- influence le coût global du projet;
- Les prix varient aussi en fonction du statut de l’acheteur. L’entreprise augment parfois ses prix dans le cadre des marchés publics pour anticiper les effets financiers du retard de paiement. C’est-à-dire que les prix des sociétés varient entre ceux proposés au secteur privé et ceux proposés au secteur public.
Les facteurs contractuels voir même extra-contractuels sont nombreux. Mais nous nous contentons de ceux délivrés et les exemples qui les illustrent. L’objectif est de démontrer que toute comparaison des prix entre deux marchés ne peut être judicieuse et probante sans une analyse globale de l’ensemble des facteurs influentes. Il en est ainsi lorsque le prix est étroitement lié à des chaines de valeurs internationales et donc influencé par les perturbations au niveau des chaines d’approvisionnement mondiale.
C’est justement le cas avec la
crise sanitaire encours qui a bouleversé les échanges au niveau mondiale. La
formation des prix et les rapports entre les acheteurs et les vendeurs
n’échappent pas à ses effets. Dans pareilles circonstances, les
entreprises privées sont évidemment mieux placées pour imposer leur politique
de prix, même s’il faut avouer qu’elles subissent aussi les effets de la
pandémie qui bouleversent leurs plans d’affaires à cause de la rupture des
chaines d’approvisionnement, augmentation des prix des intrants, repli des flux
de trésorerie, durcissement des conditions de financement, échec des prévisions
des ventes ...).
De l’autre côté de ce rapport, les acheteurs sont maintenant affaiblis et perdent beaucoup de marges de manœuvre cause de l’urgence induite par la pandémie, du changement fortuit des programmes des achats et du bouleversement des marchés local et international et du financement. Ceci est valable pour tous les acheteurs, privés et publics ; sauf que ces derniers sont encore grevés par une réglementation complexe par nature, se heurtent à des difficultés liées aux capacités et aux moyens et les achats qu’ils effectuent soutiennent le fonctionnement ininterrompu des services publics vitaux, comme celui de la santé. (...)
. J’avais l’intention de terminer mes articles avec des conclusions. Mais j’ai décidé de laisser ce travail aux lecteurs volontaires pour qu’ils enrichissent l’article par leurs propres conclusions et réflexions.Sachant que cet article est une économie d'une analyse plus exhaustive.
Hicham ETTEZGUINI, Centre des Marchés Publics