17/03/2014

«Le nouveau décret n’érige pas en obligation la préférence nationale»

Entretien avec Bouchaïb Benhamida, président de la Fédération marocaine du bâtiment et travaux publics (FMBTP) 
Le Matin Eco : Le nouveau décret sur les marchés publics est en vigueur depuis le 1er janvier. Quelles sont les insuffisances que vous relevez dans ce texte ? 
Bouchaïb Benhamida : Nous regrettons beaucoup que cette histoire de préférence nationale reste optionnelle selon les termes du décret. Car, le texte n’oblige pas le maître d’ouvrage à réserver 15% du marché objet de l’appel d’offres à une entreprise marocaine.
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En effet, l’article 155 sur la préférence en faveur de l’entreprise nationale dispose : Aux seuls fins de comparaison des offres relatives aux marchés de travaux et d’études y afférentes et après que la commission d’appel d’offres ou le jury de concours a arrêté la liste des concurrents admissibles et éliminé les concurrents dont les offres ne sont pas conformes aux spécifications exigées et lorsque des entreprises étrangères soumissionnent à ces marchés, une préférence peut-être accordée aux offres présentées par des entreprises nationales. Dans ces conditions, les montants des offres présentées par les entreprises étrangères sont majorés d’un pourcentage ne dépassant pas 15 %».
C’est clair donc : selon cet article, le maître d’ouvrage a toute la latitude de prévoir ou non cette part aux soumissionnaires marocains. Pourtant, nous avons eu la promesse et l’assurance à plusieurs reprises du gouvernement, lors de l’élaboration de ce texte, que la préférence nationale allait être systématique et obligatoire. Comme vous pouvez le constater par vous-mêmes, en examinant cet article, la formulation concernant la préférence nationale est restée pratiquement identique à celle du décret de 1998. Ce qui veut dire que la préférence nationale reste conditionnée par le bon vouloir du maître d’ouvrage. Concrètement, pour instituer l’obligation au maître d’ouvrage de réserver les 15% à la PME marocaine, il aurait fallu changer l’expression «(…) une préférence peut-être accordée aux offres présentées par des entreprises nationales » par : «(…) une préférence est accordée aux offres présentées par des entreprises nationales».
C’est donc regrettable que ce texte n’ait pas été volontariste à ce sujet. Il faut savoir aussi que dans sa déclaration dans la note de cadrage de la loi de Finances 2014 qui a été adressée, d’ailleurs, à tous les départements ministériels, le chef du gouvernement soulignait la nécessité de rendre la préférence nationale obligatoire. Résultats des courses, à notre grande surprise, le décret n’a pas pris en considération cette décision politique du chef de gouvernement.
Nous relevons, par ailleurs, d’autres insuffisances d’ordre mineur qui, nous espérons, seront corrigées dans une prochaine version du texte.

Mais le texte oblige le maître d’ouvrage à réserver 20% du montant prévisionnel des marchés sur l’année budgétaire aux PME marocaines…
Effectivement, parmi les nouveautés du décret, nous pouvons citer l’article 156 sur les mesures en faveur de la PME marocaine qui dispose : «le maître d’ouvrage est tenu de réserver 20% du montant prévisionnel des marchés qu’il compte lancer au titre de chaque année budgétaire à la petite et moyenne entreprise nationale». C’est bien beau de dicter une telle mesure. Seulement voilà, nous attendons de voir comment celle-ci sera appliquée et surtout comment on va mesurer que chaque maître d’ouvrage a bien consacré les 20% aux PME nationales ou non. Je dois vous rappeler également qu’au regard de leur nombre, les PME marocaines pouvaient avoir, avant, une part bien supérieure à 20%. Nous regrettons encore- et cela est un corollaire de la préférence nationale - le fait qu’il n’y ait pas eu consécration de l’appel d’offres national. Comme vous le savez, l’appel d’offre national est un appel d’offres réservé aux seules entreprises marocaines, quand le projet bénéficie d’un financement maroco-marocain, c’est-à-dire qu’il est financé par le budget de l’Etat ou par un bailleur de fonds marocain telle une banque. En effet, le décret sur les marchés publics continue, malheureusement, de donner l’opportunité aux entreprises étrangères de soumissionner pour ce genre de marché. C’est complètement idiot puisque cela va se traduire par une reconversion du dirham en devise afin de permettre à l’entreprise de l’exporter. Et compte tenu de la situation de la balance des paiements et des réserves en devises, nous avons demandé à ce qu’au moins les affaires financées en dirhams soit sur le budget de l’Etat soit par des bailleurs de fonds marocains, restent tout simplement des affaires en dirhams. La conséquence, c’est que demain nous allons voir des entreprises étrangères exporter leurs bénéfices en devises. Pourquoi ce texte n’a pas pris en considération cette demande qui est, à mon sens, tout à fait justifiée dans un contexte d’amenuisement des réserves en devises ?
Pensez-vous qu’avec ce décret, les procédures de passation des marchés publics sont devenues beaucoup plus souples qu’auparavant ? Qu’en est-il des délais de paiement ?
Non pas du tout, puisque le texte en vigueur exige de plus en plus de transparence parce qu’on a veillé à ce qu’il y ait plus de transparence et plus d’égalité de chances. Du coup, les procédures se sont complexifiées. Pour ce qui est de la problématique des délais de paiement, nous travaillons actuellement avec l’administration, notamment le ministère de l’Equipement, du transport et de la logistique, sur le cahier des clauses générales administratives (CCGA) qui régit la gestion des marchés publics. Il est toujours en cours d’élaboration. D’ailleurs, nous avons fait parvenir au ministère toutes nos propositions d’amendements pour régler cette problématique du délai de paiement dans la nouvelle mouture du CCGA qui devrait emprunter les circuits d’adoption prochainement. Ceci étant, nous organisons régulièrement, et même bien avant l’entrée en vigueur du décret sur les marché publics, des ateliers de formation au profit des entreprises du secteur et ce, dans plusieurs villes du Royaume. Nous leur expliquons les innovations du décret et les insuffisances et les pièges à éviter.
Que comptez-vous faire pour que soit modifié le décret sur les marchés publics ?
Je dois noter que nous avons saisi le gouvernement avant même l’application du texte par rapport aux insuffisances que nous avons relevées dans la mouture qui était alors en projet. Et nous continuerons à militer pour que l’Exécutif introduise des modifications dans certains des articles pour pouvoir sortir une nouvelle version le plus tôt possible. C’est un combat que nous menons au sein de la FMBTP depuis plus de 20 ans.
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