30/01/2014

Maroc/UE L’accord qui fait trembler les opérateurs

Un accord à haut risque pour l’économie nationale? Le 3e round des négociations pour la signature d’un accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) entre le Maroc et l’UE s’est achevé vendredi 24 janvier. Rendez-vous a été pris pour un quatrième round au cours du deuxième trimestre.

Du chemin reste encore à parcourir avant la signature d’un accord final. Mais d’ores et déjà, certains chefs d’entreprise estiment ne pas avoir été impliqués dans les discussions. La Fédération du commerce et des services/CGEM prépare une journée d’information pour examiner les enjeux de l’accord et attirer l’attention des pouvoirs publics sur les risques de mauvais deal. L’Association marocaine des exportateurs (Asmex) refuse de prendre position pour l’heure et attend de recevoir les conclusions d’une étude d’impact (côté marocain) de l’Aleca. «Avant le début des négociations en mars 2013, nous avons tenu une réunion de concertation avec la CGEM. L’objectif était, pour la partie marocaine, de recueillir auprès des opérateurs économiques les points de vigilance sur lesquels nous devons insister. Le patronat a exprimé ses remarques et préoccupations», explique Latifa El Bouabdallaoui, négociateur en chef.
Après les deux premières rencontres, le 3e round constitue le début des choses sérieuses. Visiblement, les négociations seront ardues, car l’enjeu est important pour les deux parties. Que ce soit pour le Maroc ou pour l’UE, l’Aleca devra permettre l’ouverture des marchés respectifs et le développement des échanges commerciaux. Un objectif qui passera aussi à travers la convergence réglementaire. Il s’agit d’évaluer le gap entre les réglementations en vigueur au Maroc dans onze secteurs, identifiés comme porteurs et de le combler. Un comité de négociation a été créé pour chacune des thématiques.
L’un des secteurs qui concentre les appréhensions porte sur l’alignement des procédures de passation des marchés publics sur celles en vigueur en Europe. Sauf que sur ce point précis, les opérateurs nationaux sont catégoriques. Les entreprises européennes sont déjà massivement présentes au Maroc et s’adjugent souvent de gros marchés. «En raison de la crise économique, les opérateurs européens débarquent avec du matériel largement amorti et décrochent les marchés les plus rentables. En plus, ils cassent les prix», accuse le chef d’une entreprise de BTP.
Au moment de l’élaboration du nouveau décret sur les marchés publics, la Fédération du BTP avait recommandé d’introduire la notion de l’appel d’offres national. La requête n’a pas été retenue. Un quota de 20% des appels d’offres publics sera tout de même réservé aux nationaux. L’essentiel de la commande publique restant ouvert à la concurrence internationale.
Sauf que, bien que détenant une expertise éprouvée, très peu d’entreprises marocaines disposent de la capacité de se projeter sur des marchés au sein de l’UE en matière d’infrastructures.
L’autre débat qui risque d’être particulièrement houleux concerne les négociations sur la libéralisation et le droit d’établissement. Deux thématiques qui avaient fait l’objet de discussions séparées il y a quelques années entre Rabat et Bruxelles, mais qui n’ont finalement pas abouti.
Les deux thématiques ont été intégrées dans les discussions de l’Aleca. Le sujet est encore plus sensible que celui des marchés publics. La libéralisation des services est censée permettre à certains secteurs, tels que la banque, l’assurance de s’implanter de part et d’autre. «Si le Maroc autorise aux banques européennes de s’installer, cela risque de concurrencer le secteur bancaire national puisque les entreprises européennes préfèreront toujours faire appel aux services d’un établissement de crédit étranger», explique un professeur universitaire. Les transporteurs avaient également réclamé l’exclusion de leur secteur des négociations. «Si les transporteurs européens s’installent au Maroc, cela signifiera l’arrêt de mort des entités marocaines à l’image de ce qui est arrivé avec le TIR», relève un transporteur.
Les appréhensions concernent aussi les professions libérales. Les négociations devraient définir les conditions d’installation de certaines professions. Pour l’instant, aucune exception n’a été prévue. Les nationaux redoutent l’arrivée massive d’avocats, architectes, experts-comptables européens sans que la réciprocité ne soit garantie. Ce droit d’établissement reste la pierre d’achoppement.
Les raisons sont nombreuses. A l’exception des professions réglementées, il n’existe au Maroc aucune classification des métiers. Rabat s’est engagé à en définir une pendant les discussions de l’accord.


Les obstacles non tarifaires

En principe, l’Aleca est censé permettre aux produits marocains d’accéder plus facilement au marché européen. Un comité doit identifier les obstacles techniques au commerce. Malgré le démantèlement tarifaire (à l’exception de rares produits), de nombreux produits marocains trouvent encore beaucoup de difficultés pour accéder au marché européen. En cause, le verrouillage à travers la multiplication des normes obligatoires. Aucun secteur n’échappe à la normalisation. A l’inverse, le Maroc, qui commence à renforcer son portefeuille, est une porte ouverte aux exportations européennes. Le challenge est maintenant d’examiner comment les barrières non tarifaires pourront être surmontées pour un début d’équilibre. «Même à l’intérieur de l’Union européenne, il n’y a pas de convergence réglementaire en matière de normes», précise Nabil Boubrahimi, universitaire.