Abd Elilah Benkirane n’est pas au bout de ses peines.
Après le difficile et long accouchement de son gouvernement, il s’est retrouvé
plongé dans la tourmente. En effet, une bataille sur les attributions que se
livrent des ministres en coulisses pour délimiter leurs territoires de
compétences lui donne des insomnies.
D’ailleurs, plus de quinze jours après
l’installation de son gouvernement, les décrets des attributions ne sont
toujours pas publiés au Bulletin officiel. Ce qui impacte négativement la bonne
marche de l’Administration publique. Le travail est bloqué dans la mesure où
les ministres concernés n’ont pas procédé aux délégations de signatures aux
directeurs ni aux secrétaires généraux qui voient les dossiers s’amonceler sur
leurs bureaux.
Benkirane est confronté à cette épreuve qu’il
n’avait pas calculée lorsqu’il avait opté pour cette architecture
gouvernementale. Il doit certainement regretter de n’avoir pas écouté les
propositions de Salaheddine Mezouar qui avait mis sur la table l’idée des
grands pôles pour former un exécutif cohérent. D’ailleurs, en principe, les
contours des attributions des ministères se délimitent à l’occasion des
négociations pour la formation du gouvernement. Visiblement, cela n’a pas été
fait. D’autres aberrations minent l’homogénéité de l’architecture de ce
gouvernement. C’est le cas du ministère de l’Energie, des Mines et de
l’Environnement confié à Abdelkader Amara du PJD, flanqué de deux ministres
déléguées, l’une du PPS et l’autre du MP.
Aujourd’hui, le chef du gouvernement semble ne pas savoir où
se donner de la tête, d’autant que le Souverain est en déplacement à
l’étranger. Comment les arbitrages seront rendus? On verra dans les prochains
jours. Pour l’heure, les échos de ces combats transpercent les portes
capitonnées des bureaux ministériels. Le plus audible oppose Mohand Laenser à
Nabil Benabdallah qui s’est retrouvé dépouillé de grandes directions comme
l’Urbanisme et l’Aménagement du territoire pour les confier au premier. Le patron
du PPS a conservé l’Habitat et la Politique de la ville. Mais comment peut-il
réaliser la Politique de la ville sans les moyens de l’Urbanisme et de
l’Aménagement du territoire? La réponse à cette question est évidente. Pour les
services extérieurs, c’est l’inspection de l’urbanisme qui chapeaute les
délégations de l’Habitat. Dans cette affaire, Mohand Laenser ne semble pas
vouloir se laisser marcher sur les pieds, surtout après avoir été écarté du
ministère de l’Intérieur. Ce qui n’arrange pas les choses: Nabil Benabdallah
n’est plus le seul ordonnateur du Fonds de solidarité, doté de plus de 2
milliards de DH, en provenance des taxes prélevées sur les ventes du ciment. Le
secrétaire général du MP est également devenu ordonnateur de ce fonds. Et qu’en
est-il de Al Omrane, bras armé de l’habitat social? Sa marge de manœuvre va
être limitée car le Conseil de surveillance de ce groupe est présidé par le
chef du gouvernement.
Le département de l’Economie et des Finances n’est
pas épargné par cette tempête. Mohamed Boussaid veut visiblement exercer
pleinement sa fonction de ministre. D’ailleurs, il a présenté en solo le projet
de budget de 2014 devant le Parlement en séance plénière, contrairement au
passé où Nizar Baraka et Driss El Azami se succédaient à la tribune de
l’hémicycle. Cette fois-ci, Driss El Azami s’est contenté d’un exposé devant la
Commission des finances de la Chambre des représentants. Cela renseigne sur la
volonté de Boussaid de récupérer toutes ses prérogatives. Il semble qu’il n’est
d’accord avec l’ancienne formulation qui donne au ministre délégué en charge du
Budget Driss El Azami, le pouvoir de prendre en charge la préparation, la
présentation et le suivi de la mise en œuvre de la loi de Finances. Boussaid
l’a clairement signifié au chef du gouvernement.
Un autre bras de fer fait rage également entre
Abdeslam Saddiki, le nouveau ministre de l’Emploi et des Affaires sociales, et
Bassima Hakkaoui. Ce front est ouvert sur le terrain social. Le ministre du PPS
veut donner aux Affaires sociales un contenu, en récupérant des outils comme
notamment l’Entraide nationale ou l’Agence de développement social. Et pour
convaincre le chef du gouvernement du bien-fondé de son approche, Abdeslam
Saddiki a sorti l’ancien décret d’attributions de ce ministère (Emploi et
Développement social) du temps où Abbas El Fassi était à sa tête. Ce dossier
est également sur le bureau du chef du gouvernement.
Le soufflet des Affaires générales
Lors de la formation de Benkirane II, le ministère des
Affaires générales et de la Gouvernance a perdu plusieurs de ses prérogatives.
Car le décret d’attribution de ce département de l’ancien gouvernement (février
2012), donnait beaucoup de puissance à Mohamed Najib Boulif au point que des
observateurs l’avaient considéré à ce moment-là comme le véritable numéro 2 du
gouvernement. Mais, l’épreuve du temps et de la réalité ont révélé qu’il
s’agissait plutôt d’une coquille vide, enveloppée dans des annonces restées
sans lendemain.
Najib Boulif avait dépensé tant d’énergie pour
confectionner un organigramme pour un département qui a toujours été considéré
comme «un cabinet qui suit les dossiers du chef du gouvernement». Aujourd’hui,
ce ministère a été amputé de l’économie sociale tombée dans l’escarcelle de
Fatema Marouane, ministre de l’Artisanat, et d’autres prérogatives désormais
logées chez Moulay Hafid El Alamy, ministre de l’Industrie, du Commerce, de
l’Investissement et de l’Economie numérique.