06/04/2013

Les prestataires à client public unique fragilisés par leur modèle économique


Le feuilleton qui a démarré suite à l’allongement exceptionnel des délais de paiement de l’ONEE vis-à-vis des membres de la Fenelec a mis à nu la précarité des entreprises prestataires d’un seul  organisme.
Ces entreprises à client unique, en l’occurrence l’Etat, sur lequel elles concentrent l’ensemble de leur courant d’affaires, et s’en trouvent, par conséquent, entièrement dépendantes. La Fédération nationale de l’électricité, de l’électronique et des energies (FENELEC) fournit, à ce titre, un cas d’école au vu du nombre de ses installateurs et de ses membres exerçant surtout dans l’électricité, qui travaillent exclusivement pour le compte de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE). «La première vague d’entreprises qui ont mis la clé sous le paillasson suite aux retards de paiement travaillaient pour leur majorité avec l’ONEE à titre exclusif, sinon concentraient plus de 80% de leur chiffre d’affaires sur cet organisme», rapporte une source proche du dossier. Le président de la Fenelec, Youssef Tagmouti, rappelle quant à lui que les membres ont toujours été sensibilisés à la nécessité de diversifier à la fois leur activité ainsi que leur portefeuille client. «Aujourd’hui, les entités qui ont intégré ce message résistent tant bien que mal dans le contexte actuel traversé de difficultés énormes. Dans l’attente d’une issue satisfaisante aux problèmes survenus avec un organisme, elles continuent de produire normalement pour les autres clients», explique-t-il.

Le gain facile incite certains opérateurs à ne pas se diversifier 
Ce profil d’entreprises n’est pas l’apanage de l’industrie électrique. On en trouve dans d’autres secteurs impliquant d’autres organismes publics.
De l’avis des patrons qui tiennent les rênes de ces entreprises, les risques de dépendre d’un organisme public sont multiples, notamment celui du prolongement des délais de paiement, changement des patrons et cadres, refontes institutionnelles, politique de rationalisation des dépenses (rareté voire absence de marchés) et autres moins récurrents, mais qui mettent tous en jeu la pérennité et la survie de l’entreprise en question.
Aussi, l’appréciation que se font les banques à l’occasion d’une demande de financement émanant de ces entreprises est négative du moment que les rentrées devant constituer les seuls flux disponibles pour faire face aux engagements dépendent moins de la performance de l’entreprise que de la régularité des paiements du client unique. «A partir de 40% de concentration du chiffre d’affaires sur un seul client, nous demandons des explications détaillées. A 100% de concentration, cela devient un facteur de risque», explique un banquier de la place.

Mais ces risques sont compensés, selon eux, par d’autres facteurs. «Nous sommes sûrs que nous allons être payés au final, d’autant plus que les marchés publics sont d’un certain volume et que nous avons intégré le circuit des marchés de l’Etat qui nous sont plus faciles à décrocher et à traiter», concède le directeur d’une société d’appareils et consommables médicaux qui travaille exclusivement avec le ministère de la santé.
Certains observateurs pensent, quant à eux, que la passation des marchés est parfois soumise à des considérations clientélistes qui font en sorte que les patrons préfèrent un chiffre d’affaires facile et dont le recouvrement est sûr, à une démarche de prospection et de diversification des clients entourée de risques. «La première fois où nous avons voulu étendre notre portefeuille aux particuliers, nous nous sommes retrouvés avec des chèques et des effets impayés, soldés par un passage obligé par notre avocat», se justifie un commercial d’une société de fabrication d’appareillage électrique basée à Casablanca.

Bien qu’ils soient conscients de la précarité de leurs affaires en dépendant d’un seul client, d’autres ne peuvent plus s’en retirer compte tenu de l’expertise spéciale qu’ils sont arrivés à accumuler des années durant, de la nature de leurs prestations aux offices ainsi que de leurs moyens d’exploitation et leurs ressources humaines. «Plusieurs installateurs peuvent incessamment décrocher des marchés auprès de la Lydec puisqu’il y a une demande à ce niveau, mais ne démontrent pas d’intérêt vu qu’ils n’ont travaillé auparavant que dans les parcs ruraux pour le compte de l’ONEE. Leur périmètre d’intervention s’en est trouvé systématiquement réduit», explique M. Tagmouti.

La majorité des 400 entreprises du secteur électrique n'ont qu'un seul client
A travers les derniers développements de l’affaire ONEE-Fenelec, tout laisse entrevoir que le secteur de l’électricité et de l’électronique a subi de plein fouet les conséquences du modèle économique centré exclusivement sur les prestations aux offices et organismes publics. Une bonne partie des 400 entreprises que compte le secteur est prestataire de l’ONEE à titre exclusif. Ainsi, et après qu’une trentaine de sociétés a déjà déposé le bilan, une centaine se trouve aujourd’hui en difficulté, selon  la fédération concernée. Pire encore, les acteurs qui résistent et qui veulent diversifier leurs métiers pour toucher une nouvelle clientèle manquent sérieusement de capitaux et de fonds de roulement requis dans le cadre du changement d’activité.

In fine, le prolongement des délais de paiement de 18 mois fragilise un acteur majeur de la stratégie des énergies renouvelables qui compte plus de 500 entreprises, soit 8 milliards de DH d’exportations et 300 000 emplois directs et indirects.