L’heure de la remise en question a sonné chez les experts
comptables! Frappés par la contraction du marché du conseil et la concentration
des mandats de commissariat aux comptes, la profession se livre à une guerre
tarifaire dans les marchés publics qui risque de faire beaucoup de dégâts.
Alerté par ses membres, le conseil régional de
l’Ordre de Casablanca et Sud (qui concentre la plus forte population d’experts
comptables) s’en est ému en émettant une mise en garde: «Nous avons fait le
constat d’une baisse significative des honoraires proposés par certains
confrères dans le cadre de la conduite de missions d’audit de certains
établissements publics», relève-t-il.
Ces pratiques auraient des conséquences sur la
qualité des travaux. Plus encore, elles mettraient en danger les clients et le
commissaire aux comptes qui engage ses responsabilités. « Dans certains cas,
les honoraires ont été divisés par 4 en comparaison avec les niveaux d’il y a
cinq ans », révèle Abdou Diop, associé chez Mazars. A titre d’exemple, un
marché d’audit légal qui en 2008 valait 800.000 dirhams est passé à 360.000 DH
en 2012, soit une baisse de 55%. Ces montants sont révélés par un cabinet
international qui a préféré garder l’anonymat. Cette guerre commerciale écarte
de fait un ensemble de cabinets et biaise les logiques de bonne concurrence.
Ainsi, le conseil appelle au respect de la directive d’application de la norme
«Budget-Temps & honoraires» élaboré il y a dix ans. En fait, cette
directive donne à titre indicatif, une grille de budget temps nécessaire pour
la conduite de l’audit légal d’une entreprise en fonction de la taille de son
bilan. A aucun moment, «le document ne fait état d’un prix appliqué par heure»,
souligne un expert-comptable. Ainsi, chaque cabinet est libre, en principe, de
définir ses honoraires par heure.
Mais pour espérer l’emporter dans un appel
d’offres public, les cabinets d’audit (comme les commissions des marchés) sont
piégés par l’application à l’aveugle de la règle du moins-disant. La sélection
finale se fait uniquement sur la base des tarifs, confirme un professionnel.
C’est celui qui proposera les honoraires les plus bas qui a les chances de
l’emporter. Les grands cabinets membres des réseaux internationaux seraient
aussi tombés dans le piège. Mais moins disant ne signifie pas mieux disant. «Le
recours systématique aux appels d’offres au lieu de la consultation restreinte
augmente les soumissionnaires et donc pousse à la baisse des prix », explique
un expert-comptable. Si a priori, le recours aux appels d’offres peut
constituer une assurance de transparence, mais elle ne l’est pas sur la qualité
de la prestation. Dans ce sens, les professionnels suggèrent que l’offre
technique soit mieux pondérée qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Le projet de décret sur les marchés publics (Voir
L’Economiste du 26 décembre 2012) devrait en principe, mieux réguler les
appels d’offres. L’article 41 du texte instaure la notion de «offre
anormalement basse». Pour rentrer dans ce champ, la proposition doit être
inférieure de 35% par rapport à l’estimation du coût des prestations
établie par le maître d’ouvrage pour les marchés de fournitures et de services
autres que les études.
La casse des prix constitue actuellement une
pratique qui est en train de se généraliser», explique Mohammed El Krimi,
expert-comptable. Cette baisse peut être justifiée, soit par la lourdeur des
charges pour certains, soit par le besoin de constituer un portefeuille, pour
d’autres. Dans tous les cas, cette situation porte un coup dur à la profession.
Abdou Diop, associé chez Mazars explique une tarification aussi basse par un
recours à des stagiaires ou à un personnel moins qualifié et donc moins
coûteux. Les motivations sont nombreuses. Certains cabinets baissent les prix
pour pénétrer de nouveaux marchés ou pour avoir une société cotée en Bourse
dans leur portefeuille. Des cabinets plus petits et donc ayant moins de charges
fixes se permettent également une décote pour se faire un nom dans la
profession.