Incomplet et imprécis. L’avant-projet de loi relative au
partenariat public/privé (PPP) fait aujourd’hui l’objet de vives critiques. Si
l’initiative de mettre en place ce texte a été saluée par certains, vu que les
PPP se développent à ce jour sans cadre juridique, elle a été moins appréciée
par d’autres. Des observateurs et des experts du partenariat ont
scrupuleusement analysé le texte. Il comporte 28 articles qui, selon ces
spécialistes, «sont flous, vagues et peu précis».
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Le délégué général de GDF Suez Maroc, Jean-Pierre Ermenault, qui était l’invité
du Club de L’Economiste vendredi 14 décembre, considère que «le PPP est une
mission qui mérite et nécessite d’être définie avec précision». «Elle recouvre
plusieurs notions, allant de la réalisation et la gestion d’infrastructures et
d’équipements jusqu’aux contrats de gestion déléguée des services publics»,
ajoute cet expert du partenariat public/privé. D’où la nécessité de clarifier
ces concepts qui constituent tous des PPP, mais qui demeurent relativement
différents. Il faut donc préciser si l’on veut un partenaire financier ou un
partenaire qui exploite le service et détermine aussi le mode de rémunération.
Une autre question de principe qui vient à la lecture du document est liée aux
expériences passées. N’y aurait-il pas lieu de tenir compte, dans le projet de
loi, des expériences passées, notamment les réussites et les difficultés
rencontrées? A des degrés divers, excepté le transport à Rabat, les PPP mis en
œuvre au Maroc peuvent être considérés comme des succès. En revanche, «d’autres
ont connu des difficultés car les conditions de succès n’étaient pas réunies»,
relève Ermenault. Parmi les difficultés rencontrées figure la non-obtention,
par les opérateurs, du respect des engagements d’exclusivité. C’est le cas, par
exemple, de la gestion des transports publics.
Il est aussi question de la non-application des évolutions de
tarifs prévues par les contrats, notamment des délégations des services d’eau,
d’électricité et d’assainissement. Résultat: les opérateurs sont privés d’une
partie des ressources financières nécessaires à l’investissement. En effet,
«compte tenu du contexte, les choix politiques et de solidarité sont allés dans
le sens de la non-augmentation des tarifs», explique Ermenault. D’ailleurs, le
même constat est établi pour la gestion de l’eau et de l’électricité à
Casablanca. Sur le blog de Lydec (https://blog.lydec.ma),
on peut lire: «les modalités de révision tarifaire précisent que chaque année
un ensemble d’indices dont l’inflation et les salaires doit faire l’objet d’un
examen par les parties au contrat de gestion déléguée. En fonction de leur
conclusion, les membres du comité de suivi de la gestion déléguée décident de
l’évolution des tarifs et des modalités de son affectation par type de
clients». «Mais, force est de constater qu’aucune hausse n’a été décidée par ce
comité pour la période 2011-2012», est-il précisé.
Une autre contrainte est à souligner: les besoins en investissements sont, dans
certains cas, largement supérieurs aux prévisions des contrats, compte tenu de
la croissance rapide de l’urbanisation et du développement urbanistique «en
tache d’huile». Le coût des infrastructures de base, comme la voirie, l’eau,
l’électricité, l’assainissement et l’éclairage public, et de leur exploitation
ne sont pas couverts par les ressources financières apportées par les
aménageurs et les habitants. Ce qui pose un réel problème dans l’application
des contrats, notamment ceux de la gestion déléguée. Dans d’autres cas, les
partenaires publics se trouvent sans ressources humaines adaptées à la
régulation du contrat ou carrément en situation de blocage politique. Le
dernier point qui pourrait être un frein à la réussite du PPP est lié aux
délais très longs de paiement des sommes dues aux opérateurs par les autorités
délégantes. Avant de lancer un partenariat public/privé, qu’il soit pour la
réalisation et la gestion des ouvrages ou pour la gestion déléguée de services
publics, les partenaires doivent identifier les ressources financières qui
permettront son équilibre économique. En effet, «l’opérateur privé ne pourra
prendre en charge que la part du financement qui lui sera attribuée par le
contrat (contribution financière du partenaire public ou évolution des
tarifs)», conclut Jean-Pierre Ermenault.
Quel que soit le choix, le PPP relève d'une politique et ne peut être une
solution miracle aux problèmes de gestion des services publics.
Premiers PPP
Le partenariat public/privé (PPP) associe l’Etat ou la
collectivité territoriale à un prestataire privé dans le cadre d’un contrat
d’une durée pouvant aller jusqu’à 30 ans. Le concept regroupe différents modes
de participation du secteur privé au financement, à la mise en œuvre et à la
gestion des infrastructures et des services publics. Les premiers PPP sont
apparus au Maroc au début du 20e siècle. Ils se sont développés à partir de
1980, en particulier dans les gestions déléguées des services publics,
notamment dans les domaines du transport urbain, de la distribution d’eau et
d’électricité, d’assainissement et de collecte des déchets. Le premier BOT
(Build Operate Transfer), un modèle de PPP qui consiste à construire, exploiter
et transférer, en Afrique et dans le monde arabe a été conclu en 1997 pour la
concession de la production de l’électricité de la centrale de Jorf Lasfar. Les
nouveaux projets ont été réalisés dans un cadre législatif. L’année 1994 a été
marquée par l’amendement du dahir de création de l’Office national de
l’électricité (ONE) pour l’introduction de BOT dans le domaine de la production
de l’électricité.
En 2006, le Maroc adopte une loi relative à la gestion déléguée des services
publics dont les principes généraux sont le respect des principes du service
public (égalité, continuité et adaptabilité), l’appel à la concurrence, la
transparence des opérations et l’équilibre économique et financier du contrat.
La loi stipule que le délégataire doit gérer le service délégué à ses risques
et périls et en bon père de famille. La première gestion déléguée a eu lieu
bien avant le texte de 2006 en 1997 et a porté sur le service d’assainissement
et la distribution d’eau et d’électricité à Casablanca.
Partenariat public-privé: partager les gains mais aussi les
risques
La réussite d’un partenariat public privé (PPP) dépend
largement de l’effort de clarification avant la contractualisation. Si les
experts critiquent la nature vague du projet de loi sur les PPP, qui ne prévoit
pas cette obligation de clarification, certaines initiatives montrent une prise
de conscience de cette préoccupation. Du moins au niveau des intentions. En
effet, Houssaine Louardi, ministre de la Santé, qui avait annoncé sa volonté de
faire des PPP son cheval de bataille pour le développement des services de
santé, avait clairement déterminé ce qu’il attendait des opérateurs privés.
Pour lui, son département doit s’occuper uniquement de son cœur de métier, à
savoir les prestations de santé. Le partenaire privé, quant à lui, se chargera
des autres aspects comme la construction des bâtiments, le gardiennage,
l’entretien… Ceci est d’autant plus important qu’il influence le bon
fonctionnement du partenariat. C’est pour cela que le projet de loi «doit
définir les différents points à figurer dans le contrat, tout en laissant aux
partenaires la possibilité de déterminer comment traiter ces sujets», a estimé
Jean Pierre Ermenault, délégué général de GDF Suez Maroc. En clair, le projet
de loi doit souligner que tout contrat doit prévoir des solutions à ces questions.
En effet, la précision des éléments du contrat contribue largement à la
réussite du partenariat. Surtout s’il consacre l’équilibre entre les deux
partenaires. Or, «nous constatons que le projet de loi ne prévoit que des
solutions pour remédier aux dysfonctionnements du partenaire privé, sans se
soucier des cas où l’autorité publique est défaillante», a noté Ermenault. Car,
des changements peuvent survenir en cours de route, pour lesquels il faut
prévoir des mécanismes d’adaptation afin d’éviter les blocages. En effet,
plusieurs cas de figure sont envisageables, dont les plus fréquents sont liés à
la tarification des prestations ou à la défaillance de la partie publique.
Concrètement, lorsque les deux partenaires définissent le tarif des prestations
au moment de la contractualisation, ils prennent en considération le niveau
d’acceptation du prix par le consommateur. Mais ils se mettent d’accord sur une
évolution progressive de ce tarif. Néanmoins, l’Etat peut se retrouver dans
l’obligation de ne pas augmenter ce prix, notamment à cause de pression
sociale. Dans ce cas, «l’opérateur privé peut rencontrer des difficultés à
respecter le programme d’investissement sur lequel il s’est accordé avec les
autorités publiques», a expliqué Ermenault. Pour lui, «pour être partenaires,
il faut assumer la responsabilité de ses décisions. Car, si les contrats
permettent de plus en plus de partager les gains qui n’étaient pas prévus au
départ, ils doivent aussi prendre en considération le partage des risques».
Outre les problèmes de définition des prix, les opérateurs privés peuvent
également se retrouver dans l’impasse en cas de défaillance de l’autorité
publique. C’est connu, plusieurs conseils de ville, principaux partenaires du
privé dans le cadre de la gestion déléguée, n’arrivent pas à se réunir pendant
plusieurs mois. Or, ce sont ces conseils qui prennent les décisions déterminant
leur relation avec les opérateurs privés. Il s’agit là de «la chose la plus
gênante pour un partenaire privé. La pire solution est ce statu quo», a
souligné cet expert qui a piloté plusieurs opérations de PPP. C’est pour cela
qu’il est important de prévoir un mécanisme de concertation, capable
d’effectuer le suivi de la mise en œuvre du contrat et de trouver des solutions
en cas de blocage. Ce mécanisme «doit comporter un nombre réduit de personnes,
et être aussi indépendant et écouté par les autorités publiques», a-t-il
ajouté. Pour lui, «l’idéal serait que les autorités publiques confèrent à des
services autonomes la compétence pour agir en leur nom dans le suivi des
contrats, avec une obligation de se réunir régulièrement afin de cadrer les
décisions avec la responsabilité politique de ces autorités». Cependant, il est
également possible que certains blocages dépassent les compétences de ce
mécanisme. Dans ce cas, la loi doit prévoir des outils de règlement des
différends. L’idée est de commencer par un processus de conciliation. Mais si
le blocage persiste, la procédure d’arbitrage s’impose. Celle-ci doit être
prévue par la loi. Sur ce point, Ermenault précise que l’instance d’arbitrage
doit être indépendante. Donc «forcément internationale puisqu’il n’est pas
raisonnable de recourir à une instance d’arbitrage adossée à un ministère»,
a-t-il expliqué. Mais si l’arbitrage n’abouti pas, la loi doit prévoir les
modalités de fin de contrat. Après quoi les autorités publiques peuvent lancer
un nouvel appel d’offres.
Recommandations
Le monde des affaires semble de plus en plus
intéressé par les PPP. En témoigne l’importance accordée à ce sujet par la CGEM
et son homologue français le Medef. Un groupe de travail, composé de
responsables d’entreprises de droit marocain, a été mis en place parallèlement
à l’élaboration du projet de loi. Parmi ses recommandations figurent certains
points comme la nécessité de considérer l’opérateur privé comme pouvant
améliorer le service, et non pas seulement comme pouvant résoudre des
difficultés financières. Il est également souligné que les autorités publiques
doivent disposer de moyens de gouvernance permettant des décisions rapides. De
plus, les opérateurs privés doivent avoir une visibilité concernant la
stratégie du gouvernement quant aux secteurs éligibles aux PPP.