20/03/2012

Procès deniers publics: ONDA, CIH, CNSS,... trop lourde la machine

CNSS, CIH, ONDA, Banque Populaire… les scandales liés aux affaires de détournement et de mauvaise gouvernance dans les entreprises publiques se succèdent depuis plus de dix ans(1). De par leur complexité et les enjeux politiques qui entourent ces dossiers, leur traitement judiciaire exige plus de temps en investigation et en instruction.
Pour l’affaire CNSS par exemple, qui a éclaté depuis 2002, une dizaine de personnes poursuivies sont décédées avant le début du procès. La lenteur des procédures rend également improbable l’hypothèse de la restitution des biens détournés.
En quoi ces affaires seraient-elles si spéciales? Les professionnels de la justice sont eux-mêmes partagés sur l’analyse. Pour un premier courant, la criminalité de cols blancs, celle de dirigeants d’entreprises publiques, diffère des affaires «ordinaires» où il est relativement plus aisé de s’appuyer sur le flagrant délit ou les témoins du crime. Les jugements sont prononcés avec plus de diligence.
En matière de dilapidation de deniers publics, l’accélération des procédures semble, elle, obéir parfois à l’agenda et à la météo politique du moment. Les «affaires» sont activées ou réactivées en fonction de la perte du soutien politique et, le plus souvent, après que les principaux accusés aient quitté leurs fonctions. «A se demander si lorsqu'ils sont en poste, ils s'arrangent pour que le pot aux roses ne soit pas découvert», s’étonne un avocat casablancais.
Deuxième raison plus objective, les enquêtes et audits des administrations ou des établissements publics prennent plus de temps vu la technicité des dossiers. A ces contraintes, il faut ajouter les enquêtes de la police et l'instruction qui peuvent durer jusqu'à 12 mois selon le code de procédure pénale (un délai souvent longuement prolongé) avant que les premières audiences devant les tribunaux ne commencent. Ce n’est pas gagné pour autant! Les juges chargés du procès auront dès lors à digérer des centaines de pages du dossier d'enquête et d'instruction et c'est pareil pour les avocats de la défense.
Pour un autre courant, c’est le législateur qu’il faut réprimander car il n’a pas réussi à imposer des délais-plafond afin que les jugements portant sur les affaires de détournement des deniers publics dans les entreprises d’Etat soient rendus avec diligence. «Si la loi avait prévu une limite d’un ou deux ans pour le traitement judiciaire de ces affaires, ces retards ne se seraient pas produits», souligne Tariq Sbaii, président de l'Instance nationale de protection des biens publics. Mais le législateur peut tout prévoir sauf anticiper les complexités inhérentes aux enquêtes. L’affaire CNSS, par exemple, a nécessité pas moins de dix ans pour que l’enquête du juge d’instruction soit menée à terme et transférée, comme le veut la procédure, au tribunal.  «En l’absence de date limite, c’est la porte ouverte aux excès. Dans les affaires liées aux élections par exemple, la juridiction spécialisée est obligée de rendre son verdict dans 45 jours qui suivent sa saisine», renchérit Sbaii. Ce dernier est convaincu que l’on peut transposer ce schéma avec succès aux dossiers concernant le détournement de l’argent public.

Ces affaires sont par ailleurs entachées par un manque flagrant de transparence. «Il est regrettable de voir que  notre parquet se trouve sous l’autorité du ministre de la Justice. Alors que c’est ce même parquet qui est le seul autorisé à lancer des poursuites spontanées pour ce genre de dossiers», déplore Sbaii.
L’Instance nationale de protection des biens publics relève également quelques incohérences juridiques comme celles comprises dans l’article 265 du code de procédure pénale. «Cet article accorde une sorte d’immunité relative à certaines personnalités et hauts fonctionnaires», explique Amin Hajji, avocat au barreau de Casablanca. S’ils sont soupçonnés de détournement, ces personnes ne passeront pas par la voie de droit commun, c’est-à-dire la saisine du parquet, mais par une commission spéciale de la Cour de cassation qui statuera sur l’opportunité de poursuivre la personne concernée devant la chambre criminelle de la Cour de cassation(2).
D’autres faiblesses juridiques sont à relever notamment en ce qui concerne l'article 241 du code pénal. Il invoque expressément la dissipation des deniers publics mais n’en donne aucune définition précise, laissant ainsi le champ libre à toutes les exégèses. Lorsqu’on sait que beaucoup de magistrats ne sont pas au fait de la gestion des administrations, établissements publics et autres offices par manque de formation administrative et financière, il y a de quoi s’inquiéter (voir article page 4).
La plupart des affaires liées à la mauvaise gouvernance des établissements publics qui ont été transmises à la justice l’ont été suite à de graves dysfonctionnements relevés par la Cour des comptes. Grâce à son travail de fourmi et à l’impact des suites judiciaires de ses rapports, l’institution a rehaussé son aura dans l’opinion publique qui voit dans ces poursuites judiciaires une première réponse à ses exigences de transparence et d’impunité des personnes qui se seraient rendues coupables de détournement de deniers publics.
Les deux  dernières affaires qui ont fait couler beaucoup d’encre sont celles de l’ONDA et du CIH. Dans les deux cas, l’ancien management est appelé à rendre des comptes. Et l’on peut compter sur la promesse du gouvernement de crever l’abcès dans tous les dossiers qui concernent l’argent public. Il lui est par ailleurs prêté l’intention de «dégeler» toutes les affaires en veilleuse et, donc, de lancer un signal à l’opinion sur sa volonté de rupture. Aucun secteur ne sera à l’abri. Lahcen Daoudi, ministre de l’Enseignement supérieur, a déjà prévenu qu’il transmettra au procureur tous les dossiers dans lesquels les services d’inspection de son ministère ont relevé de graves irrégularités. Il se dit que depuis lors, des responsables des facultés et d’écoles tremblent. A qui le tour?
Dans la nouvelle Constitution
La Constitution de 2011 a introduit pour la première fois des dispositions relatives aux crimes financiers. Ainsi, l’article 36 stipule que «les infractions relatives aux conflits d'intérêts, aux délits d'initié et toutes infractions d'ordre financier sont sanctionnées par la loi. Les pouvoirs publics sont tenus de prévenir et réprimer, conformément à la loi, toute forme de délinquance liée à l'activité des administrations et des organismes publics, à l'usage des fonds dont ils disposent, à la passation et à la gestion des marchés publics». Il ne reste donc plus qu’à voir la législation mise à niveau en vue d’introduire plus de transparence, de clarté et d’affermir le principe de l’égalité devant la loi, principe défendu par la loi fondamentale du Royaume. L’article 36 prévoit également la création  d’une Instance nationale de   probité et de lutte contre la corruption.
(1) Un grand chantier de moralisation de la vie publique a été lancé dès le premier gouvernement d’alternance de Abderrahmane El Youssoufi en 1998.
(2) Article 265 du code de la procédure pénale.