27/12/2011

L’Etat de plus en plus attaqué en justice

Une institution qui œuvre en silence. La discrétion de l’Agence judiciaire du Royaume (AJR) n’a d’égale que sa liberté de ton. Défenseur officiel de l’Etat, elle s’est engagée dans plus de 13.700 contentieux en 2010. Ce qui constitue une hausse de près de 7% par rapport à 2009.
Dans de telles affaires, la responsabilité juridique de l’Etat est mise en cause via le chef du gouvernement. Le dernier rapport de l’AJR relève encore une fois la judiciarisation accrue des rapports liant ministères, entreprises ou établissements publics et collectivités locales aux citoyens: 876 affaires de plus par rapport à 2009 et près de 1.000 par rapport à 2006. Cela pèse dans la mesure où l’administration paye «le coût de la non-conformité juridique», selon la formule de Mohamed Kemmou, directeur général de l’Agence.
De cet engouement pour la justice (administrative en particulier) se dégage des constats marquants. D’abord, des justiciables plus au fait de leur droit.
Une jurisprudence ensuite plus «avant-gardiste» optant pour «une interprétation maximaliste de la loi». L’illégalité induit finalement un coût pour les finances publiques, et donc le contribuable. L’administration «ne peut plus continuer dans les modes de gestion d’antan, qui relèguent au second plan la dimension juridique dans le processus décisionnel et l’acte de gestion…», poursuit l’avocat de l’Etat.
Sur ce registre, l’ex-Premier ministre, Abbas El Fassi, avait signé une circulaire fin mars 2009 pour «fortifier les services juridiques de l’administration». Avec en prime un formulaire dédié aux départements ministériels afin d’identifier les besoins. La circulaire créa aussi une cellule de suivi chapeautée par le Secrétariat général du gouvernement (SGG). Son rôle, assurer une formation aux juristes des ministères.
Pourtant, l’évolution du contentieux «valeur aujourd’hui n’est pas différente de celle de 2010. Le niveau d’exigence des tribunaux augmente en termes de légalisme, voire de respect des règles de gestion et d’équité…», souligne Mohammed Hammoumi, chef du service juridique et concepteur du rapport.
Bafouer la loi, combien cela coûte-t-il à l’Etat? Il va falloir attendre janvier 2012 pour le calculer. Le temps que l’AJR met au point son nouveau système intégré de gestion et de prévention du risque juridique. Surtout que les indemnisations versées dépendent aussi de la nature du contentieux (administratif, social, fiscal…). Et sans oublier les éventuels honoraires d’avocats et frais judiciaires.
La future plateforme informatique figure dans la feuille de route aux côtés de la réforme du statut de l’AJR. Avec ses 83 ans d’existence, l’Agence n’a mué qu’une seule fois en 1953. Le nouveau projet de loi a été retiré du SGG pour sa mise à jour. Vu la nouvelle Constitution, la mise en cause de la responsabilité du pouvoir judiciaire et le droit de recours sont désormais des droits fondamentaux. Une mise en conformité s’impose: l’Agence vise un rôle «plus actif dans la prévention du contentieux» et «le recours à la conciliation».
Anticiper aussi sur une austérité budgétaire qui se profile est prévisible pour une institution rattachée au ministère des Finances. Département d’ailleurs qui, quoique toujours en tête, s’est révélé plus appliqué en 2010 (voir info): 3.581 litiges, soit 35,6% de moins qu’en 2009.
Les ministères génèrent à eux seuls 80% du contentieux. Là, l’Intérieur avec sa police (DGSN), l’Armée et la Gendarmerie font des efforts dans leur quête légaliste. Au même titre que le ministère de l’Agriculture, pêches et forêts. Les actions judiciaires visant les départements de la Santé, de la Justice et des Affaires islamiques sont certes largement inférieures à celles des premiers. Mais là aussi des performances positives sont à signaler. Dans cette catégorie, le ministère de l’Habitat s’est en revanche «arrangé» pour générer plus de procès.
Ce hit-parade ne doit pas stigmatiser une administration qui s’initie au droit, à la bonne gouvernance… Se faire attaquer en justice ne signifie pas forcément être en tort. L’Etat a droit aussi à la présomption d’innocence. Même si le juge administratif «prend à cœur à réparer les injustices», les indemnisations élevées soulèvent des observations procédurales. Alors même que «les expertises judiciaires sont discutables, elles ont pris beaucoup de place dans les jugements. Elles doivent être recentrées dans leur rôle technique», note le chef de service juridique de l’AJR. Le juge doit prendre en compte l’expertise sans être tenu par ses conclusions. Si le juge administratif est si exigeant vis-à-vis de l’Etat, c’est qu’il y a un passif avéré qu’il traîne. L’histoire autant que le droit pèse sur la jurisprudence.