19/05/2011

RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES: RÉQUISITOIRE CONTRE L’INSTITUT PASTEUR DU MAROC

ABSENCE de vision quant à la mission, exercice d’activités non prévues par le décret, non-conformité de certains laboratoires aux normes standards et référentiels, faible rayonnement scientifique, la Cour des comptes a particulièrement chargé l’Institut Pasteur du Maroc. Précisons au passage, pour la première fois dans son histoire, cet établissement public est soumis à pareil exercice de transparence, du moins dans une version rendue publique. Les zones de vulnérabilité et de risques sont nombreuses si l’on en croit le rapport. Dans certaines zones de l’Institut, «l’accès aux locaux des différentes entités techniques n’est ni limité au personnel exerçant ni protégé contre toute intrusion externe, sachant que dans certains de ces laboratoires, il y a des produits chimiques dangereux». Par ailleurs, l’Institut ne procède pas, comme il est prévu par le manuel d’accréditation hospitalière, à la vérification de l’incidence de l’environnement (la charge bactérienne de l’air) des laboratoires sur les résultats des analyses. Plus graves, certaines dispositions exigées par la réglementation en vigueur en matière de gestion des déchets ne sont pas respectées. A ce titre, il a été constaté l’absence des poubelles plombées exigées dans le laboratoire d’hormonologie. En outre, les enquêteurs ont remarqué lors de la visite effectuée sur les lieux du centre expérimental de Tit Mellil (ferme de 27 ha, qui sert à l’expérimentation et l’élevage des animaux pour les laboratoires de recherche) que des déchets spéciaux (sang, urine, plasma, etc.) collectés au sein de l’IPM sont traités comme des déchets ordinaires et sont directement déversées audit centre! Par ailleurs, certains laboratoires ne possèdent pas les équipements nécessaires pour assurer leurs prestations, d’autres en disposent mais ne sont pas fonctionnels. Le rapport relève également un manque de contrôle de la chaîne de froid «du fait que la majorité des réfrigérateurs et congélateurs ne sont munis ni de thermomètres ni de sondes permettant de s’assurer régulièrement de la température et des conditions requises de conservation des réactifs et des autres produits de laboratoire». L’IPM est également critiqué pour son faible rayonnement scientifique. Malgré que l’IPM fait partie du réseau international des Instituts Pasteur (RIIP) et collabore avec l’OMS en tant que laboratoire de référence dans les domaines de recherche suivants: sida, hépatites virales, tuberculose, etc., cet institut a commencé à perdre de son rayonnement scientifique dans certains de ces domaines de recherche, puisqu’il n’est plus considéré, depuis 2002, comme centre collaborateur de l’OMS sur le sida. A titre de comparaison, l’Institut Pasteur de la Tunisie est considéré comme centre régional de référence de l’OMS pour la poliomyélite et la rougeole et centre collaborateur OMS de recherche et de formation sur les leishmanioses. Au niveau national, l’IPM a perdu de sa notoriété en tant que laboratoire de référence dans les domaines de recherche pour la lutte contre les maladies suivantes: l’hépatite virale, la grippe aviaire et la tuberculose (l’IPM n’agit pour lutter contre la tuberculose que dans le Grand Casablanca, quant à l’échelle nationale, les recherches dans ce domaine sont assurées par l’Institut national de l’hygiène (INH). Aucun brevet ni licence n’a été produit par le corps des chercheurs de l’IPM et ce malgré le nombre croissant des projets de recherche financés aussi bien par l’IPM que par les bailleurs de fonds. (contre 15 brevets depuis 1996 pour l’Institut Pasteur de Tunisie).
S’agissant de la gestion comptable et financière, il a été constaté que l’IPM ne procède pas à l’analyse des créances de ses clients en fonction de leur ancienneté, et par conséquent il ne constitue pas de provisions pour dépréciation des créances douteuses; et ce malgré l’existence d’importantes créances en souffrance qui datent des années antérieures. Concernant la gestion des approvisionnements et des dettes fournisseurs, il a été constaté au niveau du processus d’approvisionnement une évaluation inappropriée des besoins en réactifs et des autres produits de laboratoires utilisés par les automates de laboratoires, d’où l’existence de marchés datant des années antérieures et qui sont restés non soldés à cause de l’inadéquation entre les prévisions et les consommations effectives. Par ailleurs, la vérification opérée sur les dépenses engagées par voie de bons de commandes, en matière d’aménagements et constructions, a permis de relever notamment que: «Pour des prestations similaires ce sont toujours les mêmes fournisseurs qui sont consultés et c’est toujours le même fournisseur qui est retenu, ce qui porte atteinte au libre jeu de la concurrence». L’IPM a également été épinglé pour la non-tenue régulière du CA et «un organigramme réel non conforme à l’organigramme officiel» (1)

(1) A la constatation de l’absence claire et définie de missions de l’Institut Pasteur, le management de l’entité soutient: «qu’il n’existe pas de document formel décrivant la stratégie adoptée entre 2003 et 2008, car elles n’ont jamais été clairement définies par les autorités de tutelle».
RH : Gestion cafouilleuse

SELON le rapport, l’IPM ne dispose pas de procédures préétablies pour le recrutement de son personnel. La majorité des recrutements effectués durant la période 2003 à 2008 ont été effectués directement sur titre sans le respect des conditions d’admission requises. En outre, il a été relevé l’absence de critères d’évaluation du rendement permettant le suivi des travaux effectués par le personnel. Ainsi, l’avancement de grades et l’octroi de primes de gratification se font de manière subjective. Cette situation a favorisé l’absentéisme de certains cadres et agents «sans que des mesures disciplinaires ne soient prises à leur encontre et ce malgré la mise en place par l’IPM d’un système de contrôle des absences». En effet, le contrôle effectué sur la base des états enregistrés par le système de pointage durant la période du 01/02/2009 au 30/05/2009 a révélé des absences non justifiées qui peuvent atteindre plus de soixante jours pour certains agents. L’IPM ne dispose d’aucun plan de formation définissant les besoins en formation de son personnel aussi bien pour le personnel technique qu’administratif, malgré qu’il procède mensuellement au paiement de la taxe de la formation professionnelle (1,16% de la masse salariale globale) à l’office de la formation professionnelle et de la promotion du travail. Les versements effectués durant la période 2005 à 2008 sont de l’ordre de 1.526.724,53 DH.
Chères morsures de scorpions!
DEPUIS 2003, l’IPM ne produit plus les sérums antivenimeux et les importe de France (notons au passage que la gestion des stocks a été sévèrement critiquée par la Cour des comptes). Cette suspension a entraîné non seulement un accroissement des cas de piqûres scorpioniques et de morsures vipérins (de 15.000 cas à plus de 24.000 cas), mais aussi, une augmentation de leur prix: plus de 1.015 DH par dose de 10 ml.