29/04/2011

Conseil de la concurrence : Pourquoi il faut soutenir la réforme

Il a fallu un débat «musclé» pour se faire entendre. Un débat à trois d’abord, ayant confronté le Conseil de la concurrence, la Primature (son autorité de tutelle) et le ministère des Affaires économiques et générales… Avec aussi, d’une part, des régulateurs jaloux de leurs prérogatives, et d’autre part, ceux qui sont contre le renforcement de l’instance que préside Abdelali Benamour depuis août 2008.
Sur ce point précisément, il n’y a pas de quoi s'alarmer. Ceux qui s’opposent au pouvoir décisionnel du Conseil ont une garantie légale: un recours contre ses décisions est possible devant les juridictions administratives. Même si cette voie de recours «se limite à rejeter ou à annuler» une décision pour excès de pouvoir(1). Le juge administratif «n’a pas un pouvoir de réformation», soutient le Pr. Mohamed El Mernissi, membre du Conseil de la concurrence. C'est-à-dire l’infirmation partielle ou totale d’une décision du Conseil. Le Pr. Mernissi est d’ailleurs à l’origine d’une proposition sur la création d’une chambre spécialisée en droit de la concurrence près de la Cour d’appel de Rabat. Inspiré en cela du modèle français qui dispose d’une chambre à la Cour d’appel de Paris. 

Eradiquer la rente  
La production de l’instance que préside Benamour est par ailleurs critiquée. En 2009, le Conseil de la concurrence a reçu 12 demandes d’avis, dont dix ont été jugées irrecevables. L’article 15 de la loi relative à la concurrence dresse en effet la liste des personnes morales habilitées à saisir le Conseil: gouvernement, chambres de commerce, conseils régionaux, associations professionnelles… Nous avons publié sur nos colonnes, le 4 janvier dernier, un article dédié justement à déjouer l’irrecevabilité.
Il est évidemment toujours permis de discuter la pertinence juridique de ses avis.
Pour les études, le manque de coopération de certains régulateurs et grandes entreprises, de télécoms notamment, pèse. Et là aussi L’Economiste a décortiqué «l’inégalité statutaire entre régulateurs» (édition du 4 janvier 2011). Toujours est-il le Conseil de la concurrence sera amené tôt ou tard à établir un bilan de «concurrentiabilité» de l’économie… La réforme de son statut l’aidera au moins à avoir plus facilement accès à l’information et donc à améliorer la qualité de ses études.
Ce débat juridique a évidemment son pendant politique (voir page 15).
La concurrence reste un antidote contre les privilèges. Système où règne la rente et que le Pr. d’économie Kamal El Mesbahi définit comme «une captation indue de la richesse en raison d’une proximité avec le pouvoir». Cet enseignant, venu tout droit de la faculté de Fès, relève cinq références à la rente dans les discours royaux. Dans celui de Tanger par exemple, «il est question de rente immobilière». Le hasard, paraît-il, fait bien les choses (voir encadré).
A part la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et les concentrations, la réforme va instaurer le plaidoyer. Celui-ci pourrait servir, le cas échéant, «d’action de perte de considération» pour le gouvernement. Cette procédure ouvre la voie à l’autorité de concurrence pour se prononcer sur les subventions ou les aides accordées à tel ou tel secteur, les marchés publics, les licences… Le plaidoyer n’inclut pas des sanctions contre l’Etat: un gouvernement reste l’unique responsable de sa politique économique. L’Etat peut ne pas être d’accord avec le Conseil. Mais à condition de justifier sa décision et de la publier au Bulletin officiel. Cette mesure est d’inspiration allemande.
Le recours à cette action aux origines anglo-saxonnes n’exclut pas en revanche un recours aux médias. Ce qui risque d’entraîner auprès de l’opinion publique une «perte de considération» du gouvernement. Et il y a de quoi, si l’on se limite à citer l’exonération fiscale sur les profits immobiliers. Exonération qualifiée par Karim Tazi, ex-président de l’Association marocaine du textile et de l’habillement et PDG de Richbond, comme «une indulgence fiscale coupable». Une «rente indue moralement même si la loi de Finances l’a accordée» aux promoteurs de l’habitat social. Et qui se sont lâchement débobinés lorsque le gouvernement El Fassi a voulu mettre fin à l’exonération. Ce privilège fiscal a participé à «la création artificielle de la rareté». L’homme d’affaires fait ici allusion à la pénurie du foncier industriel.
Transparency Maroc critique plutôt la réglementation de change. Son secrétaire général, Rachid Filali-Meknassi, n’en revient pas lorsqu’il constate que cette réglementation «est régie uniquement par des circulaires et qui ne sont même pas publiées au Bulletin officiel». Qui dit réglementation, dit dérogation… Et qui, sur le plan procédural, n’est pas discutée au Parlement. Cette «opacité» de la réglementation des changes dérange, scandalise… Car, justement, elle n’est pas à l’abri d’un détournement en vue de consacrer des rentes, de museler les concurrents…
C’est pour garantir la prévisibilité du droit qu’il faut avoir une forte autorité de la concurrence, une justice indépendante.

Opportunisme politique?
Après Marrakech en 2009 et Fès en 2010, les prochaines assises de la concurrence vont se tenir dans la ville du Détroit du 14 au 17 décembre. Le thème -quoique son titre soit pompeux- porte sur «la concurrence et la régulation anti-rente» en tant que «fondements de la méritocratie et de la compétitivité dans les pays émergents». Un large programme, dont la 3e session est consacrée à une régulation qui fait «face à des comportements entrepreneuriaux déviants». Benamour et son Conseil ne veulent pas passer pour des opportunistes: le choix de la thématique «s’est fait bien avant» la manifestation du 20 février dernier. Pour la constitutionnalisation, l’instance n’a pas non plus surfé sur la mouvance qui s’en est suivie. Cette proposition ne figurait tout simplement pas dans le projet de réforme initial.  
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