24/05/2021

Une vérité qui dérange : la commande publique est un levier de sous-développement

A l’avènement du covid-19 début 2020, les entreprises privées comme les gouvernements ont misé très tôt sur la commande publique pour se sauver des effets socio-économiques de la crise sanitaire. C’est une solution théorique largement partagée et soutenue en pratique par une batterie de mesures juridiques et économiques comme l’assouplissement des procédures et du contrôle, la facilitation de la gestion des contrats, le recours à l’endettement, l’encouragement de l’octroi des avances aux titulaires des marchés (vous pouvez revenir à mes écrits et webinaires à ce propos par ici).

La présente analyse interroge la capacité de la commande publique à remplir pleinement les objectifs de la reprise économique souhaités, notamment la stimulation de la croissance. Les mesures anti-covid-19 précitées laissent présager que la commande publique sauvera l’économie et les entreprises et en conséquence les ménages. En revanche, le secteur de la commande publique est lui-même affecté par une double crise :

1. Une crise exogène conjoncturelle

La crise sanitaire a induit une dégradation significative des recettes fiscales. A titre d’exemple, la détérioration du solde budgétaire 2020 des comptes de l’Etat en France résulte principalement de l’évolution négative de la TVA (- 12,2 Md€) et de l’IS (- 11,9 Md€) soit en montant -37 Milliards d’Euro.

En conséquence, la baisse des recettes fiscales, nécessaires au financement des investissements publics, va certainement nuire au bilan physique et financier des plans, programmes et projets publics. Autrement dit, malgré les efforts gouvernementaux pour la mobilisation du financement requis, le montant comme le nombre des marchés publics décroissent. A titre d’exemple, deux études réalisées par le C.M.P. (Centre des Marchés Publics) portant sur l’évolution de la commande publique au Maroc démontrent que celle-ci a enregistré un ralentissement significatif durant la période de confinement mars-juin 2020 et post-confinement juillet-décembre 2020 (vous pouvez revenir à ces études par ici et ici).

Ainsi, des milliers d’appel d’offres sont disparus en 2020 par rapport à 2019. Cette baisse annuelle se solde à -28% pour le secteur du BTP, -30% pour le secteur des services et -21% pour le secteur du commerce des biens.  La demande envoyée aux TPME y compris les auto-entrepreneurs et coopératives en 2020 enregistre aussi une baisse évaluée à -24%. Selon, une étude récente consacrée au premier trimestre 2021, le nombre de la commande publique est presque quasi-stable en comparaison avec la même période de l’an 2020. Les PME n’en profitent pas car leur part est diminuée. Il en est ainsi pour le secteur du commerce des biens. Par contre, sa valeur a diminué (Les conclusions de cette 3ème étude seront bientôt publiées ici).

Par simple analogie, on ose dire que les constats précédents sont plus au moins valables pour de nombreux autres pays. Sinon, la Banque Mondiale confirme que les dépenses publiques dans la région MENA ont diminué par rapport aux prévisions d’avant la pandémie. Il en est ainsi pour les recettes publiques.

De notre point de vue, le pire ne provient pas de la crise extérieure qui frappe la commande publique mais plutôt de la crise intérieure de la commande publique.

2. Crise endogène structurelle

Il ne faut manquer de constater que la commande publique porte les germes de sa déficience. Dans de nombreux pays, notamment émergents et en développement, la commande publique est confrontée à un ensemble de facteurs de déficience qui la caractérisent, à savoir :

  1. Son niveau de financement externe trop élevé ;
  2. Sa mauvaise gouvernance ;
  3. Son faible effet d’entrainement.

- Premièrement, le recours massif à l’endettement par ces pays pour financer les investissements publics est un signe pathologique qui renseigne sur la faiblesse structurelle de leurs économies improductives et déficitaires. Ce sont des économies à budget fiscaliste, vachement endettées afin de subvenir aux besoins énormes de financement du développement.  Selon les estimations de la Banque Mondiale, la dette publique de l’Egypte par exemple s’élève à 87,5% du PIB et les intérêts qui en découlent avoisine 9.8% du PIB. A part la question liée aux coûts économique et politique, cette solution d’endettement massif interroge les pouvoirs publics sur la gouvernance et l'efficacité de la commande publique financée par la dette ou par les recettes publiques.

- Deuxièmement, la déficience de gestion des ressources allouées à la commande publique est étroitement liée à la mauvaise gouvernance de celle-ci.  Il s’agit ici principalement des questions liées à la transparence, l’intégrité, la rationalité, la compétence des acteurs, l’accès à l’information, la participation des citoyens, la réglementation, la durabilité, l’optimisation des ressources et la régulation. Selon certaines estimations, le coût de la corruption et de la mauvaise gestion s’établit entre 10 et 30% de la valeur des projets publics. Il va sans dire que la mauvaise gouvernance est un fléau qui freine le développement dans le monde.

-Dernièrement, l’inefficacité est le troisième maillon faible de la commande publique. A quoi sert la mobilisation des ressources financières internes et externes si la commande publique ne profite pas comme il faut à l’économie nationale, aux entreprises locales et aux ménages. Cette déficience est établie moyennant un ratio comparant l'évolution du volume de la commande publique et la croissance enregistrée sur une période donnée.  Un constat est largement partagé pour de nombreux pays en développement; la commande publique ne concourt pas ou concourt faiblement au développement économique et social et induit une dégradation des comptes externes à cause de l'importation. Elle grève le passif des générations actuelle et future tout en profitant aux économies étrangères et aux entreprises multinationales. La préférence nationale, souvent préconisée, ne peut pas à elle seule corriger ce déséquilibre indésirable. 

Malheureusement, la crise sanitaire risque d’accentuer l’impact de ces trois derniers facteurs. D’une part, la baisse des recettes fiscales, induite par la crise sanitaire, augmente le recours à l’endettement et place donc un nombre croissant des pays émergeants et en développement en situation de surendettement. D’autre part, les mesures exceptionnelles de simplification des procédures de gestion des marchés publics ne passent pas sans affecter la qualité de la gouvernance de ce secteur. Les dossiers de presse rapportent des tas d’exemples de mauvaise gouvernance partout dans le monde. A titre d’exemple, le Parquet de Bruxelles a ouvert en 2020 une enquête sur d’éventuelles irrégularités dans la passation d’un seul marché public de 30 millions d’euro ayant pour objet la fabrication et la livraison de 15 millions de masques.

3. Conclusions

La performance de la commande publique est remise en question à cause de certains facteurs endogènes à caractère structurel liés à l’endettement, la gouvernance et l’inefficacité socio-économique de la commande publique. S’y ajoutent d’autres facteurs exogènes à caractère conjoncturel liés à la crise sanitaire et son impact sur le bilan physique et financier des investissements publics.

Comment donc un instrument de politique publique si fragile peut remédier à une économie en crise ?

Dans ces conditions, on peut dire que la commande publique est de nature à devenir un levier de sous-développement, indépendamment de l’existence ou non d’une crise économique conjoncturelle ! Il en résulte une sous-performance majeure qui gâche l’argent public, sans profiter pleinement à l’économie domestique.

La priorité des priorités est de guérir en interne la commande publique pour tirer pleinement parti de ses effets positifs sur le développement durable ; sinon à quoi bon de verser un filet d’eau sur le sable.

C.M.P