Entreprises, coopératives et auto-entrepreneurs, savez-vous
que la préférence nationale n’est plus une option dans les marchés publics ?
Elle devient impérative depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2-19-69 du 24
mai 2019. Selon l’expert Hicham Ettezguini,
l’article 155 comprend une subtile
modification passée inaperçue alors qu’elle rend obligatoire la préférence
nationale. Un tournant dans le cycle des réformes de la réglementation des
marchés publics.
Le Matin-Éco* : 2019 aura été une année très spéciale avec
l’entrée en vigueur du décret n° 2-19-69 du 24 mai 2019, modifiant et
complétant celui n° 2-12-349 du 20 mars 2013 relatif aux marchés publics. Ce
nouveau texte vient d’être publié au B.O. dans sa version francophone, quel
changement a-t-il apporté pour la préférence nationale ?
Hicham Ettezguini : La modification de l’article 155 du décret de
2013 relatif aux marchés publics est un changement qui mérite d’être célébré et
non simplement commenté. Il est important de rappeler que depuis son
introduction par l’ancien décret de 1998 relatif aux marchés de l’État, la
préférence nationale souffrait de son caractère facultatif et du manque
d’application volontaire par les maîtres d’ouvrages. Avec ce nouveau
changement, la préférence nationale n’est plus une option ; elle devient
impérative, et ce, depuis le 23 juin 2019, date de publication au Bulletin
officiel arabophone du décret.
Autrement dit, les maîtres d’ouvrages concernés n’ont plus le choix d’appliquer
ou non la préférence nationale lors de la passation de leurs marchés.
Concrètement, les dossiers des appels d’offres relatifs aux marchés de travaux
et études y afférentes doivent contenir une disposition qui encadre la
préférence nationale dans la limite réglementaire de 15%.
Dans quelle partie du texte
peut-on lire que la préférence nationale n’est plus une option et devient
impérative ?
La note de présentation du décret n° 2-19-69 est implicite au sujet de la
préférence nationale. Dans l’article 155, le législateur a substitué «est» à
«peut être» : une préférence est accordée aux offres présentées par les
entreprises nationales, les coopératives, les unions de coopératives et
l’auto-entrepreneur. À mon sens, cette nouvelle disposition, rend obligatoire
la préférence nationale et constitue un tournant dans le cycle des réformes de
la réglementation des marchés publics au Maroc.
Comment en est-on arrivé à ce
changement et quels sont les objectifs escomptés à travers ce caractère
obligatoire de la préférence nationale ?
Cela fait des années que les entreprises, particulièrement, du secteur de BTP
réclamaient l’application de la préférence nationale. L’ouverture économique du
pays profite aux entreprises étrangères en la matière. En termes de retombées
souhaitées, la préférence nationale est de nature à augmenter les chances des
entreprises nationales, notamment, de BTP face aux entreprises étrangères
concurrentes et à promouvoir ce secteur en termes de volume d’affaires et
d’emploi. N’oubliez pas que ce secteur est tributaire de la commande publique
qui représente selon certaines estimations 25% du PIB. De même, environ 70% du
carnet de commandes des entreprises de ce secteur est rempli par des marchés
publics. L’État et ses démembrements sont un fer de lance pour ce secteur comme
d’autres.
Sur le plan macroéconomique, on peut même s’attendre théoriquement à une
réduction du déficit de la balance de paiement dans la mesure où une partie non
moins importante de ce déficit est imputable au paiement en devises en
contrepartie de prestations liées aux marchés publics, bien entendu lorsque les
acheteurs publics contractent avec des firmes étrangères.
Comment les entreprises
nationales, coopératives et auto-entrepreneurs peuvent-ils en profiter ?
Sont-ils en mesure de concurrencer les entreprises étrangères ?
Pour vous répondre, il est utile d’expliquer dans un premier temps le
fonctionnement du mécanisme de la préférence nationale : au stade de la
comparaison des offres financières des concurrents admis, la commission d’appel
d’offres applique le taux de préférence, prévu dans le règlement de
consultation, aux offres présentées par les entreprises étrangères. Cela se
traduit par une augmentation artificielle du montant de l’offre de l’entreprise
étrangère qui sera ensuite comparé avec celui de l’entreprise nationale. En
fin, ladite commission propose comme attributaire du marché l’entreprise ayant
présenté l’offre la plus avantageuse, à savoir la moins disante, pour les
marchés des travaux par exemple. Il va sans dire que la préférence régule
uniquement l’aspect financier lié aux offres étrangères et nationales. Or, la
concurrence ne se limite pas au seul facteur de prix auquel se rapporte la
préférence.
Il est aussi question de la capacité de l’entreprise, de la conformité de son
offre technique et de sa qualité. Ainsi, les entreprises nationales sont
appelées d’abord à soigner ces aspects qualitatifs et la préférence leur
apporte un étaiement au stade de comparaison des offres financières.
Quid des coopératives et auto-entrepreneurs
?
En principe, l’auto-entrepreneur et la coopérative tirent parti de la
préférence nationale au même titre que les autres opérateurs économiques, à
savoir les grands comptes, PME et TPE. Mais en pratique, et vu les limites du
chiffre d’affaires de l’auto-entrepreneur, il n’est pas envisageable une
situation où une entreprise étrangère concurrence un auto-entrepreneur car
cette dernière s’intéresse aux marchés dont les montants dépassent au minimum
les 6 chiffres ; ces commandes restent inaccessibles à l’auto-entrepreneur. Par
contre, les auto-entrepreneurs peuvent concourir pour des bons de commande ou
un marché de petite taille. Permettez-moi d’évoquer l’allotissement comme
instrument qui permet de scinder de gros achats publics en petits marchés
accessibles aux PME et TPE y compris l’auto-entrepreneur. Malheureusement,
conformément à la réglementation nationale, l’allotissement ne s’impose pas aux
maîtres d’ouvrages étant donné son caractère supplétif. J’espère que dans un
avenir proche il deviendra obligatoire comme la préférence nationale.
*propos recueillis par le journaliste Moncef Ben Hayoun
*propos recueillis par le journaliste Moncef Ben Hayoun