La commission des affaires économiques du Sénat a livré, mercredi 24 juillet, un rapport accablant dans l’affaire des steaks hachés frauduleux fournis à des associations caritatives :
« Personne ne peut aujourd’hui déterminer l’origine de
la viande contenue dans les steaks hachés distribués dans le cadre du marché
public incriminé. »
La direction générale de la concurrence, de la consommation
et de la répression des fraudes (DGCCRF) avait révélé, début juin, que des
steaks hachés de très mauvaise qualité avaient été fournis en France à des
associations d’aide aux plus démunis, tout en écartant un quelconque risque
sanitaire.
Ce sont les associations qui avaient alerté les autorités,
début mars, sur la présence de taches brunâtres suspectes sur les steaks hachés
fournis grâce au Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD). Mais impossible
de déterminer l’origine de ces steaks.
« Tous les auditionnés, les entreprises concernées
comme les administrations, ont confirmé qu’il leur était impossible de garantir
que l’origine des carcasses utilisées par l’industriel était polonaise »,
souligne le rapport. « Ainsi, les carcasses de viande utilisées par
l’industriel Biernacki peuvent très bien être polonaises, ukrainiennes ou
brésiliennes, sans qu’il ait à en rendre compte à quiconque », appuie
t-il.
Plaidoyer pour une meilleure traçabilité
Les steaks hachés, censés ne contenir que du muscle selon la
législation en vigueur, « contenaient quand même de l’estomac, des
amygdales, du cartilage, des cœurs de bœuf, du soja, de l’amidon et des
morceaux de viande déjà transformés », a déclaré le rapporteur Fabien Gay
(Groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste, à majorité communiste).
« On demande à nos agriculteurs de tracer chaque bête,
chaque morceau de viande, on est en train de passer un traité de libre-échange
avec le Canada (CETA), où on nous dit “il n’y a pas de problème, la
traçabilité sera assurée”. Et aujourd’hui, au sein de l’Union européenne, avec
un marché public, on produit de la viande dont on ne connaît pas la
traçabilité », s’insurge-t-il.
Parmi les dix-huit recommandations du rapport,
l’amélioration du cahier des charges des appels d’offres figure donc au premier
rang. Sa première piste consiste à « mettre en place un critère de
traçabilité sur les matières premières utilisées pour produire les denrées FEAD
dans les appels d’offres ».
L’appel d’offres du FEAD concernait près de 1 500
tonnes de steaks hachés surgelés pour la somme de 5,2 millions d’euros. Le
rapporteur du texte a également dénoncé « des trous dans la raquette
et des défaillances lourdes des autorités de l’Etat concernant les
contrôles ».
« Depuis deux ans, on ne demande plus les tests
gustatifs pour les steaks hachés », indique M. Gay, selon qui ces
contrôles moindres constituent pour les négociants et les traders « une
incitation à la course aux prix, au détriment de la qualité ».
« Négligence » de l’Etat
Par ailleurs, il dénonce le manque de moyens de
FranceAgriMer, opérateur public chargé de l’achat des denrées alimentaires
financées par le FEAD, et va jusqu’à évoquer « une négligence » de
l’Etat. La commission des affaires économiques du Sénat déplore ainsi :
« Malgré des alertes à répétition portant sur
l’industriel polonais produisant les steaks hachés depuis des années, notamment
en 2015 au sujet de la présence de salmonelles, le dernier contrôle sur
place par l’administration date par exemple de 2013, alors que les services
sont censés contrôler chaque industriel au moins une année sur deux. »
« Depuis plusieurs années (…), les banques alimentaires
alertent leurs tutelles sur le fait qu’elles ont toujours affaire aux mêmes
traders, que l’on ne voit pas apparaître de processus clair de certification,
d’assurance qualité, de politique de responsabilité sociale des entreprises
(RSE), ni de traçabilité », a déploré de son côté Jacques Bailet,
président du réseau des banques alimentaires, lors d’une audition citée dans le
rapport.
Cet événement grave a concerné, pour les banques
alimentaires, 480 tonnes de viande, soit 9 millions de steaks. Et le
président des Restos du cœur, Patrice Blanc, de déplorer :
« Plus de cinq millions de personnes, en France, sont
susceptibles d’avoir accès à l’aide alimentaire. C’est une population
extrêmement importante et très sensible, ce qui rend d’autant plus scandaleux
ce qui vient de se passer. »