A l’ère de la mondialisation et de la révolution numérique,
nous assistons à une transformation profonde des modèles économiques des
organisations tant du secteur privé que du public.
Or, l’histoire humaine nous
enseigne que toute mutation recèle en elle des gisements d’opportunités. A ce
titre, un grand potentiel réside dans les données de plus en plus riches et
disponibles qu’il s’agira de valoriser. Ces données massives (ou Big Data)
offrent pour le secteur public une panoplie de nouvelles stratégies et de
techniques à même de permettre l’amélioration de la productivité de l’administration
et d’atteindre de meilleurs niveaux d’efficience et d’efficacité.
I- Administrations financières publiques de demain : quels
métiers ?
Nous analyserons ci-après les tendances récentes qui
préfigurent les principaux métiers des administrations des finances publiques à
savoir la gestion des dépenses, des recettes et du contrôle.
1. Les dépenses :
Le Big Data offre de grandes possibilités pour réaliser des
économies budgétaires. Selon une étude du McKinsey Global Institute en 2011,
les gouvernements européens pourraient réaliser annuellement des économies
supérieures à 100 milliards d’euros par l’amélioration de l’efficience
opérationnelle à travers l’analyse du Big Data et ce en gagnant en efficacité,
en réduisant la fraude et les erreurs et en améliorant le recouvrement des
impôts.
Les mutations sociétales que connaissent nos pays, couplées
avec des exigences de plus en plus pressantes de la part des citoyens,
amplifiées par les réseaux sociaux, imposent aux décideurs de garder une
capacité de réponse. Or, les moyens étant rares par essence, il s’agit de «
faire plus avec moins », c’est-à-dire optimiser au maximum les ressources
existantes. Ce souci permanent d’optimisation poussera les gestionnaires à
chercher à améliorer leurs indicateurs de performance pour plus d’économie,
d’efficacité et d’efficience de la dépense publique. Ainsi, l’identification
des niches d’économie, la remise en cause d’acquis devenus trop généreux et la
limitation du train de vie de l’administration seront des sujets de plus en
plus récurrents dans le débat public. Il en est de même pour les projets et la
culture de suivi de performance et de gestion basée sur les résultats.
Par ailleurs, la dissémination à grande échelle des
nouvelles technologies, notamment l’équipement quasi généralisé de la
population en téléphones mobiles connectés à internet, rend de plus en plus
facile le ciblage des tranches sociales les plus éligibles à l’aide publique.
Ainsi, plusieurs programmes d’appui sociaux auront tendance à devenir plus
sélectifs et plus personnalisés en se basant sur une segmentation avec une
meilleure identification des populations nécessiteuses (Cas du projet de
Registre Social Unique prévu au Maroc en 2019).
2. Les recettes :
L’administration fiscale est au cœur des métiers liés aux
recettes. Face aux contraintes imposées d’une part par la maitrise de la
pression fiscale, nécessaire pour préserver la compétitivité des entreprises
nationales, et d’autre part par les obligations découlant des accords de
libre-échange, il devient impératif d’explorer d’autres leviers se rattachant
essentiellement à l’élargissement de l’assiette. A ce titre, il s’agit de mieux
cerner le potentiel existant (sous-déclaration, informel, évasion fiscale…) en
utilisant les techniques nouvelles allant du partage des bases de données à
l’imagerie aérienne. Un autre champ prometteur demeure ouvert et concerne les
moyens pour mieux capter les flux financiers issus de la nouvelle économie
(taxation des GAFA, flux en cryptomonnaies…) qui requièrent une mise à jour
profonde à la fois juridique, technologique et organisationnelle.
Des niches d’optimisation existent également dans la partie
opérationnelle et promettent des gains quantitatifs, une amélioration de la
qualité de service et des économies de moyens. On citera à titre d’exemple au
Maroc les cas réussis de la dématérialisation au niveau de l’administration des
douanes (système Badr) ou plus récemment la réforme du processus de
recouvrement de la vignette (en 2016, le paiement de la vignette a été élargi à
plus de 10.000 points de vente, en plus des guichets bancaires, de plusieurs
sites web et services mobiles. Dès le premier mois de janvier, le nombre de
paiements effectués a augmenté de 7,3%, les recettes de 13,5% alors que les
guichets classiques de l’administration fiscale ont réalisé moins de 9% des
recouvrements).
Un autre défi qui s’impose à l’administration fiscale
consiste à favoriser un meilleur consentement à l’impôt. Or, cet objectif ne
peut être atteint par les seules voies coercitives et les règles exorbitantes
du droit commun. L’administration fiscale est appelée à s’inscrire davantage
dans un processus inclusif avec des procédures plus transparentes, plus
équitables, davantage personnalisées selon les cas spécifiques, avec une
communication mieux adaptée et envisager même de rendre le citoyen partenaire
actif dans la conception de certaines politiques fiscales. Cette démarche plus
proche de l’usager et plus à son écoute est de nature à faire adhérer plusieurs
contribuables récalcitrants. Ceci est devenu plus facilité et plus réalisable à
travers les canaux de communication moderne (mobile, email…).
3. Le contrôle :
Grâce aux données numériques, échangées en temps réel par
les services concernés (registre de propriété, abonnement aux services en
réseau…), et à la possibilité de leur croisement, le contrôle et
l’investigation permettent de mieux traquer les erreurs, la fraude et l’évasion
fiscale (Cas des Panama Papers). De plus, ce contrôle aura tendance à devenir
basé sur les risques et plus automatisé offrant ainsi une plus grande célérité
de traitement, un meilleur ciblage et la possibilité de redéployer les
ressources humaines existantes vers des tâches à plus grande valeur ajoutée.
Par ailleurs, les administrations seront appelées à adapter
leur système de contrôle interne qui sera davantage basé sur les systèmes
d’information. Ceci offre la possibilité d’avoir un accès plus rapide à
l’information utile mais crée de nouveau défis liés à la sécurité des données,
à la vie privée et aux risques de contournement des procédures. Les
administrations seront plus que jamais appelées à s’approprier leurs systèmes
de contrôle interne et à le surveiller de près à travers des autoévaluations
systématiques.
Il en va de même pour le contrôle externe (comme celui de la
Cour des comptes) qui deviendra de plus en plus dématérialisé (moins de papier)
et dont la partie liée au contrôle de la régularité consistera davantage à
challenger la robustesse des systèmes de contrôle interne des administrations
financières.
Par ailleurs, le contrôle dispose maintenant, grâce
notamment à l’équipement généralisé des populations en téléphones mobiles,
d’une grande opportunité d’inclure le citoyen dans la chaine de contrôle à
travers la possibilité d’envoi de ses constats en temps réel. Ainsi, les
anomalies peuvent être détectées, notifiées et redressées à temps par
l’administration (Cas de la ville de Boston qui a mis en place une application
pour la détection et le signalement des trous dans la chaussée).
Par Monsieur Mohammed Kamal Daoudi, Président de chambre à la Cour des
comptes.
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