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27/07/2019

Quelles administrations financières publiques pour demain ?


A l’ère de la mondialisation et de la révolution numérique, nous assistons à une transformation profonde des modèles économiques des organisations tant du secteur privé que du public.
Or, l’histoire humaine nous enseigne que toute mutation recèle en elle des gisements d’opportunités. A ce titre, un grand potentiel réside dans les données de plus en plus riches et disponibles qu’il s’agira de valoriser. Ces données massives (ou Big Data) offrent pour le secteur public une panoplie de nouvelles stratégies et de techniques à même de permettre l’amélioration de la productivité de l’administration et d’atteindre de meilleurs niveaux d’efficience et d’efficacité.

I- Administrations financières publiques de demain : quels métiers ?
Nous analyserons ci-après les tendances récentes qui préfigurent les principaux métiers des administrations des finances publiques à savoir la gestion des dépenses, des recettes et du contrôle.

1. Les dépenses :
Le Big Data offre de grandes possibilités pour réaliser des économies budgétaires. Selon une étude du McKinsey Global Institute en 2011, les gouvernements européens pourraient réaliser annuellement des économies supérieures à 100 milliards d’euros par l’amélioration de l’efficience opérationnelle à travers l’analyse du Big Data et ce en gagnant en efficacité, en réduisant la fraude et les erreurs et en améliorant le recouvrement des impôts.
Les mutations sociétales que connaissent nos pays, couplées avec des exigences de plus en plus pressantes de la part des citoyens, amplifiées par les réseaux sociaux, imposent aux décideurs de garder une capacité de réponse. Or, les moyens étant rares par essence, il s’agit de « faire plus avec moins », c’est-à-dire optimiser au maximum les ressources existantes. Ce souci permanent d’optimisation poussera les gestionnaires à chercher à améliorer leurs indicateurs de performance pour plus d’économie, d’efficacité et d’efficience de la dépense publique. Ainsi, l’identification des niches d’économie, la remise en cause d’acquis devenus trop généreux et la limitation du train de vie de l’administration seront des sujets de plus en plus récurrents dans le débat public. Il en est de même pour les projets et la culture de suivi de performance et de gestion basée sur les résultats.
Par ailleurs, la dissémination à grande échelle des nouvelles technologies, notamment l’équipement quasi généralisé de la population en téléphones mobiles connectés à internet, rend de plus en plus facile le ciblage des tranches sociales les plus éligibles à l’aide publique. Ainsi, plusieurs programmes d’appui sociaux auront tendance à devenir plus sélectifs et plus personnalisés en se basant sur une segmentation avec une meilleure identification des populations nécessiteuses (Cas du projet de Registre Social Unique prévu au Maroc en 2019).

2. Les recettes :
L’administration fiscale est au cœur des métiers liés aux recettes. Face aux contraintes imposées d’une part par la maitrise de la pression fiscale, nécessaire pour préserver la compétitivité des entreprises nationales, et d’autre part par les obligations découlant des accords de libre-échange, il devient impératif d’explorer d’autres leviers se rattachant essentiellement à l’élargissement de l’assiette. A ce titre, il s’agit de mieux cerner le potentiel existant (sous-déclaration, informel, évasion fiscale…) en utilisant les techniques nouvelles allant du partage des bases de données à l’imagerie aérienne. Un autre champ prometteur demeure ouvert et concerne les moyens pour mieux capter les flux financiers issus de la nouvelle économie (taxation des GAFA, flux en cryptomonnaies…) qui requièrent une mise à jour profonde à la fois juridique, technologique et organisationnelle.
Des niches d’optimisation existent également dans la partie opérationnelle et promettent des gains quantitatifs, une amélioration de la qualité de service et des économies de moyens. On citera à titre d’exemple au Maroc les cas réussis de la dématérialisation au niveau de l’administration des douanes (système Badr) ou plus récemment la réforme du processus de recouvrement de la vignette (en 2016, le paiement de la vignette a été élargi à plus de 10.000 points de vente, en plus des guichets bancaires, de plusieurs sites web et services mobiles. Dès le premier mois de janvier, le nombre de paiements effectués a augmenté de 7,3%, les recettes de 13,5% alors que les guichets classiques de l’administration fiscale ont réalisé moins de 9% des recouvrements).
Un autre défi qui s’impose à l’administration fiscale consiste à favoriser un meilleur consentement à l’impôt. Or, cet objectif ne peut être atteint par les seules voies coercitives et les règles exorbitantes du droit commun. L’administration fiscale est appelée à s’inscrire davantage dans un processus inclusif avec des procédures plus transparentes, plus équitables, davantage personnalisées selon les cas spécifiques, avec une communication mieux adaptée et envisager même de rendre le citoyen partenaire actif dans la conception de certaines politiques fiscales. Cette démarche plus proche de l’usager et plus à son écoute est de nature à faire adhérer plusieurs contribuables récalcitrants. Ceci est devenu plus facilité et plus réalisable à travers les canaux de communication moderne (mobile, email…).

3. Le contrôle :
Grâce aux données numériques, échangées en temps réel par les services concernés (registre de propriété, abonnement aux services en réseau…), et à la possibilité de leur croisement, le contrôle et l’investigation permettent de mieux traquer les erreurs, la fraude et l’évasion fiscale (Cas des Panama Papers). De plus, ce contrôle aura tendance à devenir basé sur les risques et plus automatisé offrant ainsi une plus grande célérité de traitement, un meilleur ciblage et la possibilité de redéployer les ressources humaines existantes vers des tâches à plus grande valeur ajoutée.
Par ailleurs, les administrations seront appelées à adapter leur système de contrôle interne qui sera davantage basé sur les systèmes d’information. Ceci offre la possibilité d’avoir un accès plus rapide à l’information utile mais crée de nouveau défis liés à la sécurité des données, à la vie privée et aux risques de contournement des procédures. Les administrations seront plus que jamais appelées à s’approprier leurs systèmes de contrôle interne et à le surveiller de près à travers des autoévaluations systématiques.
Il en va de même pour le contrôle externe (comme celui de la Cour des comptes) qui deviendra de plus en plus dématérialisé (moins de papier) et dont la partie liée au contrôle de la régularité consistera davantage à challenger la robustesse des systèmes de contrôle interne des administrations financières.
Par ailleurs, le contrôle dispose maintenant, grâce notamment à l’équipement généralisé des populations en téléphones mobiles, d’une grande opportunité d’inclure le citoyen dans la chaine de contrôle à travers la possibilité d’envoi de ses constats en temps réel. Ainsi, les anomalies peuvent être détectées, notifiées et redressées à temps par l’administration (Cas de la ville de Boston qui a mis en place une application pour la détection et le signalement des trous dans la chaussée).
Par Monsieur Mohammed Kamal Daoudi, Président de chambre à la Cour des comptes.
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