Entente illicite, abus de position dominante, monopole,
projets de concentration... le Conseil de la concurrence a traité 45 dossiers
entre 2009 et 2013. Soit une moyenne de près de 8 dossiers par an. Pratiquement
tous les grands secteurs ont été ciblés par des demandes d’avis: transport,
pilotage maritime, livres scolaires, marché publics, laboratoires de BTP, vente
de poisson, insuline, médicaments, grande distribution...
Sur les 30 avis formulés par
le régulateur, 8 ont porté sur des projets de concentration. Le premier
antécédent de fusion-acquisition concerne le secteur biscuiterie et chocolat.
Il a été initié en janvier 2010 par Kraft Food Inc et Cadbury PLC Maroc. En
revanche, la première saisine de remonte au 10 février 2009. Elle porte
sur «les pratiques illicites sur le marché des stations carburant de la région
Souss-Massa-Draâ».
Espace publicitaire : Avez-vous besoin d’une formation ou conseil en marchés publics, veuillez prendre directement contact avec un consultant du Centre des Marchés Publics par téléphone au +212 666 716 600 ou par email
La requête de la Fédération
nationale des commerçants de carburant au Maroc a été rejetée. «Son objet ne
relève pas de nos compétences dans la mesure où il s’agit de contrebande de
carburant», précise le rapporteur en chef du Conseil, Khalid Bouayachi. Cette
décision date de fin juillet 2009. Soit près d’un an après la nomination du
président et des (anciens) membres. Ce qui renseigne l’ampleur des attentes
dans le monde économique.
Elle est l’un des exemples qui
démontrent l’intérêt pour un opérateur d’être pointilleux sur la procédure
qu’il entame face à un concurrent indélicat. En effet, plusieurs entreprises
ont vu leurs demandes rejetées pour vice de forme. Et pour cause, l’ancienne
loi 06-99 sur la liberté des prix et de la concurrence ne leur donnait pas un
accès direct au Conseil de la concurrence.
Une société comme SOS NDD
devait ainsi obligatoirement passer par une association professionnelle ou une
chambre de commerce, d’industrie et de services. L’opérateur a vu ainsi sa
demande d’avis rejetée sur un appel d’offre public relatif à la gestion délégué
d’un marché d’assainissement solide (voir encadré).
Selon le bilan de son activité
2009-2013, le transport et les marchés publics font l’objet de saisines
récurrentes auprès du Conseil de la concurrence. Les conditions d’accès au
marché, les clauses discrétionnaires, la corruption sont le leitmotiv des
plaignants. Le patronat (CGEM) a par exemple réclamé en février 2011 «une
enquête sur les pratiques anticoncurrentielles dans le transport routier des
marchandises».
Le ministère délégué aux
Affaires générales et de la Gouvernance a plutôt demandé «un avis sur les
prestations des notaires». La loi oblige l’exécutif à saisir le régulateur sur
tout projet de réglementation touchant de près ou de loin la concurrence. Une
obligation qui n’est pas toujours respectée à la lettre. Et cela risque de
s’aggraver vu les vacances forcées auquel le régulateur a été astreint.
D’autant plus que les demandes
d’avis augmentent: les trois dossiers du tabac «traînent» depuis 2013.
Des secteurs, comme les assurances et les bureaux de change, sont aussi
soupçonnés de pratiques anticoncurrentielles. Reste à ouvrir des enquêtes. Mais
qui va le faire?
Les cartographies économiques
du Conseil de la concurrence sont un chantier majeur. Depuis son démarrage en
août 2008, le régulateur a réalisé 13 études sectorielles faites soit en
interne ou par des sociétés de conseil comme Mazars: télécoms, industrie
pharmaceutique, audiovisuel, subvention étatique à la promotion immobilière,
finance, ciment, grande distribution, huile de table... Opérateurs, marché,
état de la concurrence y sont sondés avec souvent un constat récurrent. Ces
secteurs connaissent une assez forte concentration. Elle se traduit par 2 ou 3
entreprises qui détiennent le pouvoir du marché: part, chiffre
d’affaires...
Nouvelles règles mais...
La
réforme du droit de la concurrence de 2014 a changé la donne. Il est désormais
possible pour une entreprise de se plaindre directement de pratiques déloyales
auprès du régulateur. Ces nouvelles règles touchent aussi les projets de
concentration qui doivent êtres notifiés en principe au Conseil de la
concurrence. Pour l’heure, le chef du gouvernement garde la main et ses
autorisations se basent sur la loi d’avant 2014. Le débat sur la légalité de la
démarche se pose (voir page 3). Au point qu’un groupe agroalimentaire français
a manifesté sa crainte: «Je ne sais pas si demain le Conseil de la concurrence
va se retourner contre nous», confie son représentant auprès de l’instance.
«Nous ressentons une certaine gêne lors de l’instruction du dossier... Il reste
en stand by justement à cause de l’absence des nouveaux membres», rapporte-t-on
auprès du régulateur.
Concurrence: La réforme face à «des oppositions sourdes»
Le ton est amer. Le président du Conseil de la concurrence,
Abdelali Benamour, évoque «des oppositions sourdes» lorsqu’on l’interroge sur
le blocage de l’instance qu’il chapeaute depuis août 2008. Et pour cause, il a
fallu six ans pour élaborer, adopter et publier le nouveau droit de la
concurrence au Bulletin officiel.
Et depuis octobre 2013, le régulateur sous sa nouvelle forme
n’a toujours pas vu ses membres nommés: 8 sont désignés par le gouvernement et
deux magistrats par le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (cf.
L’Economiste n°5028 du 22 mai 2017).
Pour la présidence, «il n’y a
pas de mystère face à ce blocage alors qu’il y a des cas urgents en instance».
Il est question notamment d’une dizaine de notifications de concentrations
déposées par des multinationales. Il s’agit plus exactement de
fusions-acquisitions, comme celle tout récemment opérée dans le secteur
de la papeterie-carton ou encore le rachat d’Opel-Vauxhall par Peugeot PSA.
«Pour ne pas bloquer les
affaires, nous avons réorienté les demandeurs vers le chef du gouvernement afin
d’obtenir les autorisations de concentrations», précise le Conseil de la
concurrence. C’est le cas par exemple du dossier des cimentiers Lafarge-Holcim
(cf. n°4383 L’Economiste du 21 octobre 2014). Aucune autorisation n’a été
officiellement annoncée depuis!
Carburant, le grand test
Les dossiers de concentrations
posent un problème juridique (voir page 4). Le régulateur détient selon la
nouvelle loi une compétence exclusive en la matière. Que faire si une entreprise
vient à contester par la suite l’opération initiée par son concurrent auprès de
la Primature?
Le blocage actuel de l’instance de régulation doit composer
avec une autre urgence. Une cinquantaine de saisines ont été initiées entre
2013 et 2017 par les opérateurs économiques: agroalimentaire, tabac, assurance,
marchés publics, bureaux de change... «Une vingtaine de dossiers ont été
instruits et ont fait l’objet d’un projet de rapport qui devra être validé par
les futurs membres», confie le chef rapporteur, Khalid Bouayachi.
Mais pour l’heure, la
motivation ayant marqué les débuts du Conseil cède la place à un sentiment de
désillusion: «Si les nouveaux membres ne sont pas nominés, c’est toute la
dynamique engagée depuis 2008 qui sera (définitivement) cassée», estime la
présidence. La Banque mondiale est là pour témoigner sur «le rôle actif du
Conseil de la concurrence joué depuis 2009 dans l’évaluation des niveaux de
concurrence et l’identification des concentrations et des ententes illicites».
Son Mémorandum sur «Le Maroc à
l’horizon 2040» n’y va pas de main morte pour critiquer «une application des
règles du jeu économiquement inefficace et socialement inéquitable» et qui
«explique en grande partie le manque d’ouverture du marché ainsi que la
persistance d’un système incitatif sectoriel discrétionnaire, inefficient et
source de distorsions».
Entendez par là
anticoncurrentiel. Le réquisitoire de la Banque mondiale va encore plus loin:
«Le Maroc a besoin d’institutions de marché solides qui promeuvent et garantissent
l’ouverture des marchés et la libre concurrence...». Toute la libéralisation
économique enclenchée depuis les années 1990 et la régulation qui l’a
accompagnée s’en trouve totalement décrédibilisée. Les tergiversations de la
politique concurrentielle sont un exemple patent.
En effet, l’institution de
Bretton Woods se montre sceptique sur la portée de la réforme de 2014.
«L’efficacité de ces nouvelles dispositions légales va se mesurer lors de leur
application concrète à travers la capacité du Conseil à résoudre les problèmes
de concurrence dans les principaux secteurs», relève-t-elle. Les marchés des
carburants et «plus étrangement celui de la viande», comme révélé dans notre
édition du jeudi 25 mai 2017, sont de grands tests.
«La nouvelle équipe devra
faire preuve de courage moral et éthique», rétorque le président du Conseil de
la concurrence lorsqu’on sonde son avis sur les réserves de la Banque mondiale.
«Qu’est-ce que cela veut dire quand vous avez eu droit à 10 ans presque de
discours d’encouragement et que dans les faits rien ne bouge? C’est qu’il y a
en douce des lobbies qui bloquent» le changement. C’est une vraie bataille pour
l’Etat de droit qui s’annonce. Encore plus féroce que celle qui a marqué la
refonte du droit de la concurrence.