22/05/2015

Infrastructures : Le lobby des partenariats public-privé à la conquête du Maroc

Après l’Algérie, les lobbyistes canadiens du partenariat public-privé étaient, mardi 3 mars 2015, à Rabat pour présenter leur expérience aux pouvoirs publics et opérateurs privés marocains, sur l’invitation de l’ambassade du Canada au Maroc et en Mauritanie. l’Institut pour le Partenariat Public Privé (IPP), un groupement d’entreprises privées, et le cabinet de conseil Fakesen Martineau ont été très bien accueillis par le Maroc.
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 En décembre, la loi 86-12 relative aux contrats de partenariats public-privésa été adoptée et le décret d’application déposé la semaine dernière au Secrétariat général du gouvernement.
Les partenariats publics-privés, au sens strict, constituent l’une des formes de délégation d’une action publique par l’Etat à un acteur privé. Contrairement à la « délégation de service public » où le privé gère l’exploitation d’un service public, ou au «  marché public » qui concerne la réalisation d’un investissement, les PPP consistent pour l’Etat à confier à une entreprise privée la conception, le financement, la réalisation, l’entretien-maintenance et l’exploitation d’un service ou une infrastructure publics moyennant le versement d’un loyer sur fonds publics.
Une dette dont l’Etat ne veut pas
Les PPP sont souvent présentés comme incontournables pour les pays en voie de développement qui associent besoin en infrastructures et contraintes budgétaires. Il ne faut pas s’y tromper, si ces partenariats sont en apparence une façon de reporter sur le secteur privé les efforts d’investissement, en réalité, le coût est in fine supporté par l’Etat. Des entreprises privées supportent certes pour l’Etat une dette dont il ne veut pas mais elles lui font payer en retour un loyer – qui impacte directement le budget public - suffisamment important pour s’y retrouver financièrement.
« Dans un contexte de difficultés budgétaires, il est tentant pour les décideurs publics d’adopter une solution de fuite en avant, en misant à tout va sur les PPP, alors que d’autres alternatives existent. Cette possible déconsolidation de la dette publique ne peut donc être qu’une solution provisoire, même si elle peut sembler indolore à court terme », explique dans une tribune Mohamed Khanchi, professeur en économie à l’Université Internationale de Rabat.
Service de la dette : 61% du budget 2015
Le Maroc, en tant que pays en développement, est naturellement tenté par la solution de court terme apportée par les PPP. La dette publique, entre 2011 et 2015, a augmenté de 84%, de sorte que le service de la dette représente déjà 61% du budget général de l’Etat en 2015, selon le ministère de l’Economie et des finances. Dans le même temps, les investissements prévus ne cessent d’augmenter. « Entre 2012 et 2016, nous aurons des besoins en investissement de 166 milliards de dirhams et en suivant la tendance actuelle, ce sera 800 milliards de dirhams dont nous aurons besoin d’ici 2037 », selon Jamal Ramdane, directeur de la stratégie au ministère de l’Equipement et des Transports.
Pourtant, le Maroc n’aurait-il pas encore intérêt à emprunter, plutôt qu’à confier l’emprunt à des entreprises privés, puisqu’il est réputé pour parvenir à emprunter à des taux très avantageux ? « Les PPP ne se réduisent pas à l’aspect financier. Nous recourons également, avec ce modèle à l’expertise d’une entreprise privée pour des ouvrages, des services que l’Etat ne sait pas faire », nous répond Najat Saher, responsable de la cellule PPP au ministère de l’Economie et des Finances. « C’est aussi un moyen de lancer plusieurs investissements majeurs à la fois », assure-t-elle.
Dérapages financiers
En France, la Cour des comptes en janvier 2015 et le Sénat en juillet 2014 soulignaient les risques inhérents aux PPP. De nombreux dérapages financiers ont montré qu’ils peuvent s’avérer beaucoup plus coûteux que prévu, et donc bien moins intéressants qu’un contrat de type marché publique classique. « Selon la nouvelle loi et le décret, les PPP doivent donner lieu à des évaluations préalables, une étude comparative qui détermineront s’ils sont avantageux ou s’ils faut se tourner vers d’autres mode de contrat », rassure Najat Saher.
« La principale faille des contrats PPP réside dans l’importance de l’incertitude qui les caractérise, […]. En effet, ces contrats sont passés sur des termes très longs (20 à 30 ans) et sont donc nécessairement incomplets au sens où ils ne peuvent prévoir les évolutions économiques futures », explique Mohamed Khanchi. Difficile dans ce cadre d’évaluer les coûts et donc les loyers avec précision.
Incertitude
Cette incertitude s’accroit avec la taille des contrats. Plus les investissements concernés sont importants, plus les groupes et consortiums qui seront capable de décrocher le contrat seront peu nombreux et de grande taille. Le rapport de force qui s’instaure alors peut rapidement être défavorable à l’Etat.
Le Maroc a conscience de ces difficultés mais ne remet pas en cause sa volonté de développer les PPP. « Bien que les PPP peuvent présenter des avantages par rapport au coût, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas le contrat miracle. La complexité du contrat sa durée, sa charge budgétaire présentent des risques. Pour atténuer ces risques, les PPP doivent présenter un besoin réel en infrastructures et doivent respecter le processus de passation du partenariat », insiste Najat Saher.
« Pas le contrat miracle »
Le processus défini par la loi est long : il exige la mise en place de commissions, des études comparatives… La rédaction in fine de ces contrats est d’une telle complexité qu’elle exige une gouvernance démocratique parfaite et bien rodée. Or la corruption, les conflits d’intérêt ou l’inexpérience des organismes publics en négociations ont déjà fait des dégâts au Maroc, comme dans tous les pays en voie de développement.
Les PPP s’imposent donc dans les pays en développement comme une nécessité, alors que ce sont les moins à même de les mettre en œuvre. Le Maroc du moins ne permet-il pas encore aux collectivités territoriales de souscrire ce type de contrat et les réserves aux ministères nécessairement plus avertis. « On ne dit pas que c’est un contrat miracle, c’est support parmi d’autres qu’il faut considérer en tant que tel », conclut Najat Saher.