03/07/2014

Gestion déléguée: Les dessous du départ de Veolia Maroc

Veolia Maroc ne s’attendait pas à cette levée de boucliers lorsqu’elle avait saisi les autorités délégantes (communes) et le ministère de l’Intérieur de son intention de quitter le Maroc. Elle a décidé de se désengager de certains contrats pour se concentrer sur des activités à forte valeur ajoutée.
En effet, le 8 avril 2013, elle a exprimé son projet de céder la totalité de ses participations dans Redal (Rabat-Salé) et Amendis (Tanger-Tétouan) à Atlas Holding infrastructures, une filiale d’Actis LLP, un fonds d’investissement anglais. Ce fonds a mené une campagne d’explication auprès des communes qui décident du sort du contrat. Ses responsables ont présenté leur plan d’action, les montants qu’ils comptaient investir dans les infrastructures. Un travail de préparation a été fait entre les deux opérateurs et le ministère de l’Intérieur.

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Le résultat a été décevant pour les Britanniques: seules 7 communes rurales ont délibéré en faveur d’Actis, les autres, les plus importantes, ont voté contre, tout en affichant leur intention de racheter le contrat. En effet, Rabat, Salé, Témarra et Tanger sont opposées à la cession. Du coup, le deal passé entre Veolia Maroc et Actis tombe à l’eau. Le délégataire devra respecter la volonté des communes qui sont favorables au rachat du contrat. En effet, après 15 ans d’exploitation à Rabat et plus de 10 ans à Tanger-Tétouan, le contrat donne la latitude aussi bien au délégataire qu’à l’autorité délégante d’exprimer leurs souhaits de rester ou de partir, ou céder la société à un repreneur qui doit absolument répondre aux exigences du contrat. Cette opération doit être validée par l’autorité délégante que sont les communes avant l’approbation du ministère de l’Intérieur.
Mais avant de démarrer les négociations pour la fixation du prix, les autorités délégantes devront adresser une lettre de notification à Veolia Maroc.
Pour l’heure, le délégataire n’a rien fait dans ce sens. Et pour cause, toutes les communes concernées par cette opération, dans le nord et dans la région de Rabat, doivent délibérer dans la même direction. Il faut relever un détail significatif, même si Veolia Maroc a décidé de quitter le pays, le niveau de prestation n’a pas baissé.
De manière générale, le ministère de l’Intérieur serait-il opposé à la gestion déléguée? La plupart des intervenants affirment le contraire. En effet, ce département a, dès le départ, observé «une neutralité qu’exige le contexte démocratique dans lequel s’est inscrit le Maroc». Pour ce département, «l’important est d’assurer la continuité du service public». D’ailleurs, il a travaillé avec Veolia Maroc et Actis pour monter le dossier de la cession.
Qu’importe, dans cette expérience de gestion déléguée, plusieurs enseignements sont à tirer. Déjà la Cour des comptes met les dernières touches à un rapport sur ce thème qui fera l’objet d’une présentation au Parlement par Driss Jettou, le premier président de la Cour. D’ailleurs, il avait saisi l’opportunité de présenter son rapport début mai pour mettre en avant les différents dysfonctionnements de ce mode de gestion qui a fini par «réaliser des bénéfices non mérités».
Le ministère de l’Intérieur partage certaines remarques de la Cour des comptes, tout en nuançant certains aspects. El Hassan Boukouta, directeur des régies et des services concédés, tient à rappeler que «la présence de ces gestionnaires délégués au Maroc a permis la réalisation de certains objectifs. Il faut dire la vérité et reconnaître qu’ils ont tiré le secteur vers le haut». En plus, aujourd’hui, il y a une expertise marocaine, avec des spécialistes dans les trois métiers. «D’ailleurs, après chaque révision du contrat, le nouveau ne ressemble pas au précédent», dit-il. En plus, la gestion déléguée a démarré en 1997 à Casablanca avec les services publics locaux de l’eau, l’électricité et l’assainissement liquide. Les inondations de la capitale économique en 1996 sont encore dans les mémoires. La ville avait besoin de gros investissements pour accompagner le développement en matière d’infrastructures dans ces trois métiers. D’ailleurs, la Lydec a réalisé 20 milliards de DH d’investissements dans les trois secteurs et il s’agit de financements délégataires, sans parler de ceux de l’autorité délégante, précise-t-on au ministère de l’Intérieur. En somme, la réalisation des investissements a atteint une moyenne de 94%.
De même, le contrat prévoit certaines dispositions qui n’ont pas été respectées par les deux parties. D’abord, la révision quinquennale n’a été faite qu’au bout de 10 ans.
Lorsque Veolia Maroc a demandé à partir, il fallait revenir à la case départ pour revisiter le contrat de Redal et arrêter la situation de 1999 à fin décembre 2012. Du coup, le montant de l’écart d’investissement non réalisé s’élève à 1,2 milliard de DH. «Mais dans l’ensemble, 88% des investissements ont été effectués conformément au contrat», précise le directeur des régies et des services concédés.
Des défaillances ont été également enregistrées au niveau du contrôle, du suivi et de l’investigation des autorités délégantes que sont les communes. «Les structures existantes se sont avérées insuffisantes pour accompagner un gestionnaire de cette taille. Il fallait donc faire intervenir le ministère, le service permanent de contrôle et certains auditeurs et experts pour réviser ce contrat», a souligné El Hassan Boukouta. Pour lui, «quand les contrats ont été signés, ils n’ont pas été étudiés au préalable par des juristes». Ce qui a causé par la suite des divergences dans l’interprétation des textes à l’origine des désaccords entre les deux parties. Et là, le ministère de l’Intérieur est intervenu en tant qu’arbitre pour rapprocher les points de vue.
Selon le ministère de l’Intérieur, le contrôle  repose sur un risque majeur qu’est l’asymétrie de l’information servie à l’autorité délégante, particulièrement au niveau financier et comptable. «La plupart du temps, ce sont des informations parcellaires. Alors que le contrat donne à l’autorité délégante le droit de disposer des moyens nécessaires pour exercer le contrôle et l’investigation ponctuelle, au fil de l’eau, annuelle ou à la fin du contrat», a-t-il ajouté. Au bout de cette première expérience, on s’est aperçu de la nécessité d’avoir une entité étoffée et compétente en matière. Aujourd’hui, beaucoup de choses ont été corrigées.

Les solutions alternatives
DE plus en plus d’élus sont convaincus que la gestion déléguée a atteint ses limites. Les services du ministère de l’Intérieur anticipent sur d’autres modes de gestion qui sont «compatibles avec le pouvoir d’achat des citoyens». C’est le cas des Sociétés de développement local (SDL), avec la séparation des risques industriel et commercial. Ainsi, des SDL seront destinées à gérer le patrimoine et l’investissement et d’autres dédiées à l’exploitation. Dans ce schéma, le secteur privé intervient dans la partie exploitation.
Selon El Hassan Boukouta,  la vision future consiste dans la création des groupements d’agglomérations, des SDL et des sociétés d’exploitation, via un cahier des charges et des obligations contractuelles. Mais pour les autres régions, la vision du ministère est de créer des sociétés régionales de distribution d’eau, d’électricité et l’assainissement. Le tour de table de ces sociétés anonymes sera composé notamment de l’ONEE, les communes et d’autres actionnaires institutionnels.
L’objectif est d’avoir le même niveau de qualité de service à l’ensemble des citoyens. «Aujourd’hui, il y a des disparités. Les citoyens n’ont pas la même qualité de service. Ce qui crée des déséquilibres économiques et sociaux», a indiqué le responsable au ministère de l’Intérieur. L’expérience sera menée à Agadir, avant d’être dupliquée dans d’autres régions.