03/07/2014

Anticorruption: Qui a peur de la réforme

«Espoir et désillusion» servirait de titraille à la mésaventure juridico-institutionnelle que  traverse l’Instance centrale de prévention contre la corruption (ICPC). Elle a été recyclée, grâce à l’article 36 de la Constitution, en Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption.
Une mouture du projet de loi a été préparée par l’ICPC en septembre 2012 pour en faire une institution plus musclée en vue de traquer les conflits d’intérêts, les délits d’initiés, le trafic d’influence… Concertations ministérielles, débats publics, puis renvoie de la mouture finale au Secrétariat général du gouvernement (SGG), se sont relayés depuis près de 2 ans. Le juriste en chef de l’exécutif a pour mission «de préparer la version qui sera examinée par le Conseil de gouvernement en vue de son éventuelle adoption. S’il n’y a pas d’objections ministérielles, le projet de loi sera renvoyé au Parlement», précise Mohamed Khalid Laraichi, SG de l’instance, créée par le décret du 13 mars 2007.

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Circuit qui est normalement prévu par la procédure. Ce qui ne l’est pas en revanche, c’est la version du projet de loi proposée par le SGG et qui est loin de faire l’unanimité.
D’abord auprès de l’instance que préside Abdeslam Aboudrar et qui se dit «insatisfaite» par le rendu final du SGG. Elle «ignore» pourquoi la mouture mise en ligne est très timide par rapport aux dispositions initialement proposées. «Peut-être par ignorance des rédacteurs qui n’ont pas vu la version précédente ou qui ont adopté une autre approche», estime l’ICPC qui n’a pas cherché à avoir des explications.
Janvier 2013, la présidence a pourtant rompu le silence en mettant à l’index les «points faibles» de la réforme. Les paroles s’envolent, l’écrit reste. 

Risque d’inconstitutionalité
Transprency Maroc reprend la relève. Son conseil national s’est «exceptionnellement» réuni le 17 juin à Casablanca pour passer au vitriol le projet de loi. L’ONG anticorruption exprime «avec inquiétude le net recul de la réforme envisagée par rapport aux dispositions constitutionnelles et aux engagements officiels quant aux missions de la nouvelle instance: indépendance, investigation…». L’ONG chapeautée par Abdessamad Saddouq estime qu’«au lieu d’élargir les prérogatives de la nouvelle instance pour être plus efficace dans la répression du crime de corruption, le projet de loi réduit l’essentiel de son rôle à des missions de conseil, d’études  et de sensibilisation». Son plaidoyer revient sur la situation précaire des wistlblowers. Donneurs d’alertes et plaignants «ne se sont pas vu accorder le choix à l’anonymat». Tout en excluant l’auto-saisine, le projet de loi est critiqué pour «ces conditions rédhibitoires de recevabilité des plaintes». Le Secrétariat générale du gouvernement a-t-il opté pour un régime en-dessous du minimu syndical prévu par la loi protégeant les dénonciateurs de corruption? Impossible d’avoir une réponse. Même si le secrétariat de Driss Dahak s’est plié en quatre pour nous dénicher un interlocuteur valable.
Autre point décisif qui ne devra pas passer sous silence: l’indépendance de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption. «La composition de ses structures, le mode de nomination de ses membres et la répartition des pouvoirs en son sein ne garantissent nullement son indépendance», se désole Transparency Maroc.
Avouons-le, il est étonnant au vu de l’expertise du SGG qu’un tel risque juridique soit passé inaperçu. Si c’est le cas, l’inconstitutionnalité du projet de loi doit être soulevée au nom de l’article 159 qui consacre «l’indépendance des instances en charge de la bonne gouvernance». Si ce faux pas n’est pas rattrapé par le Conseil de gouvernement, c’est au Parlement de tirer la sonnette d’alarme. Même si nous avons le malheureux antécédent du projet de loi réformant le Conseil de la concurrence. Le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi pour se prononcer sur la légitimité de sa compétence générale. Nous avons eu droit in fine à une réforme boiteuse.
Fin de mandat depuis 2012!
TIENT-ON mordicus à ce que «les instances de bonne gouvernance et de régulation» continuent à jouer aux figurants? Malgré «le bilan positif» depuis sa création fin 2008, il faut avouer que les insuffisances du cadre légal de l’ICPC ont freiné la mise en oeuvre de ses propositions et de ses recommandations», selon le rapport d’activité 2012-2013 présenté début juin à Rabat. De 2009 à 2013, l’ICPC a transféré 305 plaintes sur les 3.096 reçues.
La moitié d’entre elles vise les ministères de la Justice et de l’Intérieur. Lorsqu’elles ne sont pas classées «pour manque de preuve notamment», les plaintes restent lettre morte. Le projet de loi consacre-t-il le statu quo? Transparency Maroc s’arrête «sur son caractère
Fin de mandat depuis 2012!régressif» et «invite le gouvernement à le retirer et à en produire un autre, en concertation avec la société civile…». Ce débat sur la réforme se tient à l’heure où le mandat du président de l’instance, Abdeslam Aboudrar, prend fin le 20 août 2014. D’une durée de 6 ans, il est non renouvelable. Quant aux membres de l’ICPC, la fin de leur mandat (4 ans) remonte au 15 octobre 2012! Ce qui légalement fait obstacle à la tenue d’une assemblée plénière. Comment se fait-il que personne n’ait pensé à reconduire les membres de l’ICPC ou à en nommer d’autres? Dans deux mois, l’institution que préside Aboudrar sera presque orpheline. Au risque de voir la réforme totalement escamotée. La société civile doit rester vigilante.