04/04/2014

« La corruption affecte la bonne exécution des marchés publics »

Le système de passation des marchés publics a été souvent indexé dans certaines malversations financières au sein de l’administration publique béninoise. Hilaire Félix Kanèho, administrateur des marchés publics à la retraite, ancien directeur national des marchés publics, scrute sans langue de bois le système au travers des mauvaises pratiques de certains cadres appelés à faire respecter les textes en la matière. Décryptage.


Koaci.com : On a souvent reproché de nombreux cas d’irrégularités dans les procédures de passations des marchés publics. Est-il juste d’affirmer aujourd’hui que notre système de passation de marchés est malade ?

Hilaire Félix Kanèho  : Effectivement, le système est un peu malade. Mais, ce n’est pas la thérapie qui manque. Le système souffre du comportement des hommes. Un système ne vaut que ce que valent ceux qui sont là pour le mettre en pratique, c’es-à-dire les hommes qui sont nommés à des postes pour faire passer des marchés ne sont pas professionnels. Il y a un défaut de professionnalisme, il n’y pas de conscience professionnelle, en un mot il se pose un problème d’éthique. Aujourd’hui, quand le commun des mortels apprend que tu es sur la chaîne des marchés publics, c’est que tu es riche. C’est devenu plus important que tous les postes aujourd’hui dans les administrations. Le chef Cellule Contrôle des marchés publics est très côté, on le courtise parce qu’il faut passer par lui pour faire les affaires. Effectivement, quand on veut tronquer un système, on peut. Un dossier d’appel d’offres (DOA) où vous mettez des spécifications techniques pour l’orienter vers un soumissionnaire, c’est sûr que c’est lui qui passera. Or, ce DOA doit passer nécessairement par la direction nationale de Contrôle des marchés publics qui est tenue de corriger les spécifications techniques orientées, pour que le meilleur gagne. Parfois, il y a des défaillances au niveau du contrôle toujours par manque de professionnalisme. Tous ceux qui sont au contrôle ne sont pas au top. Il y a des assistants, des attachés, des contrôleurs et des administrateurs qui aussi par manque d’éthique, peuvent laisser une bêtise pour que cela profite à un soumissionnaire en fin de compte. C’est pour cela que la plupart des scandales qui sont connus dans le pays sont relatifs aux marchés publics.

Justement, c’est pour réduire les scandales que l’Etat a entrepris des réformes, notamment l’adoption en 2009 du nouveau code de passation des marchés actuellement. Est-ce à dire que la nouvelle législation comporte toujours des insuffisances ?Qui sont ceux qui adoptent le code ? Combien parmi eux ont fait des études en marchés publics pures ? C’est là le gros problème. Nous-mêmes, on continue d’apprendre et nous formons des générations pour qu’on affine le code. Le code comporte des incohérences.

Un exemple pour étayer ces incohérences ?

Par exemple, les cellules de contrôle des marchés publics ne peuvent pas être directement rattachées aux ministres sectoriels. Le contrôlé ne peut pas nommer son contrôleur. Le principe est clair. Dans l’ancien système, le ministre sectoriel soumet à un comité interministériel un projet d’arrêté pour la nomination d’un cadre qui remplit les conditions prévues par les textes pour être le responsable de la passation des marchés publics et il a un mandat de quatre ans. S’il ne remplit pas ces conditions, le ministre des Finances retourne le dossier. Aujourd’hui, c’est le ministre seul qui s’engage à nommer le contrôleur. Cette pratique n’est pas conforme à la déontologie. Chaque ministre vient et change le responsable de passation des marchés publics. On ne peut être en train de changer permanemment un responsable de passation des marchés publics. C’est une mémoire. La vitrine qui permet de juger de la bonne santé financière d’un pays, c’est comment se passent les marchés publics dans ce pays là. Un homme d’affaires qui veut s’installer au Bénin, ce qui l’intéresse, c’est de savoir s’il peut gagner des marchés en tant qu’étranger, sinon il n’amène pas ses sous. Secundo, il veut savoir si un étranger gagne des procès au Bénin. C’est pourquoi dans la réforme, on a maintenu l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) qui a la Commission de règlement des différends. Cette structure est comme le tribunal des marchés publics, qui règle les litiges dans le temps. Beaucoup d’efforts ont été faits, mais il n’y a pas encore la volonté politique pour arrêter l’hémorragie.

Faut-il encore appeler à d’autres réformes ?

L’important, ce n’est pas un texte de plus. La moralisation de la vie publique doit être effective. Celui qui fait mal ou qu’on reconnaît avoir commis un scandale, il faut lui donner la peine qu’il mérite quel que soit son rang. C’est parce qu’on ne punit pas que les plus petits commencent. Les textes sont là mais ce sont les hommes.


Justement vous parlez de moralisation de la vie publique, on a souvent entendu cette fameuse formule de 10%. Est-ce un mythe ou une réalité ?

Je n’en ai pas vécu mais j’en entends parler. Il y a des lettres de dénonciation de certains collaborateurs. Il y a toujours des brebis galeuses dans la basse-cour. Vous voyez certains agents, les dossiers qu’ils vous présentent souvent ne sont pas bons. La corruption c’est une réalité dans le milieu, surtout en matière de dépenses. On veut sortir de l’argent pour dépenser, on s’arrange. On peut acheter la mauvaise qualité au prix de la meilleure qualité. Tout cela, c’est la chaîne de la dépense. Il y a des collaborateurs que l’on considère comme des démarcheurs qui suivent les dossiers des soumissionnaires, et ce n’est pas gratuit.
La corruption affecte négativement l’exécution des marchés publics. N’importe comment, l’adjudicataire se retrouve en difficulté sur le terrain. Il va commencer à solliciter des avenants, or il ne peut pas prouver que l’argent qu’on lui a donné n’est pas suffisant. C’est suffisant mais qu’est-ce qui s’est passé ? Il y a des non dits. Et c’est quand l’adjudicataire est au boulot du rouleau qu’il commence par chuchoter les rumeurs. J’ai donné tant à telle personne pourtant elle est dans la commission où les gens disent que je ne travaille pas.

Quelle appréciation les partenaires techniques et financiers qui financent certains projets font souvent de notre système ?

Le système n’est pas totalement fiable, de leur point de vue. Honnêtement de notre côté aussi, nous sentons des insuffisances. La preuve, le financement du manuel de procédures de ma DNCMP et des cellules de contrôles est assuré par la Banque mondiale, sur son initiative. Les PTF ne sont pas satisfaits de la façon dont nous utilisons les fonds qu’ils nous donnent ou nous prêtent. Il faut un système sain et rigoureux. C’est pourquoi lorsqu’ils financement des infrastructures, cela ne les gênent pas de prendre des bureaux de contrôles qui viennent. Et parfois, ils font des observations pertinentes qui font reprendre les travaux.

Alors, que faut-il faire aujourd’hui pour amener plus de transparence dans le système?

La transparence, c’est d’asseoir un contrôle plus rigoureux, de faire respecter les textes, de renforcer les organes de contrôle de l’Etat. Quand je parle de contrôle des marchés publics, je vois le contrôle au niveau des ministères sectoriels et le contrôle au niveau de la direction nationale de Contrôle des Marchés publics (DNCMP).
Il est dit dans le nouveau code qu’il faut mettre à chaque séance d’ouverture et de dépouillement un observateur, mais ce n’est pas souvent le cas. L’ARMP doit sélectionner par une procédure normale un observateur. Son rôle, c’est d’observer et de faire son rapport. Cela peut être des personnes physiques ou morales. C’est capital parce que lors d’une réunion d’ouverture de plis et d’analyses des offres, le PV ne parle que de çà. Le PV ne parle pas de ce qui s’est passé lors de la réunion. C’est l’observateur qui va le dire, c’est lui qui décrit toute l’ambiance et dénonce ci-possible les manquements. Cela aide le contrôleur à mieux faire son travail. Mais au-delà de tout cela, c’est la conscience professionnelle qui doit primer car même si tu es bien formé mais de mauvaise foi, tu ne peux pas être un bon fonctionnaire.

L’autre solution, c’est d’avoir un manuel de procédures pour la direction nationale de contrôle des marchés publics avant d’écrire le manuel de procédures sur la passation d’un marché public. L’intérêt, c’est d’appliquer la même mesure à tous les dossiers qui passent. Les mêmes genres de dossiers qui passent doivent avoir les mêmes avis et doivent passer les différentes étapes. Cela doit être le même principe quel que soit celui qui envoie le dossier, quelle que soit la nature du dossier.

Le contrôle est multidimensionnel. La DNCMP doit être soutenue par les cadres de génie civil, dans les domaines techniques spécifiques pour pouvoir prononcer la recevabilité des chantiers. Depuis le premier coup de pioche, le chantier doit être surveillé par un maître d’œuvre. On construit des écoles et en moins d’un an les murs se fendillent. Aussi bien le contrôle administratif de la DNCMP et le contrôle sur le terrain du maitre d’œuvre doivent être concomitants et rigoureux. L’entreprise ne peut pas proposer quelque chose et aller faire autre chose sur le terrain. Donc la DNCMP se doit de faire appel à toute personne qui peut aider à la manifestation de la vérité parce que la faille au niveau de la DNCMP est que son contrôle n’est qu’administratif et financier. Nécessairement, il faut des techniciens que la loi permet de recruter pour l’appuyer dans le contrôle sur le terrain.