02/06/2013

Marchés publics : le calvaire des entreprises du BTP


Du lancement des travaux à leur réception, aucune phase n'est exempte de dysfonctionnements qui retardent l'exécution des projets et entament la rentabilité des entrepreneurs. Autorisations et plans techniques fournis avec retard, manque de diligence dans le contrôle et la signature des attachements, rétention injustifiée des cautions..., les problématiques sont multiples.
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Les récentes coupes dans le budget d’investissement de l’Etat font craindre aux entreprises du BTP une baisse d’activité plus prononcée, sachant que la commande publique représente 70% de leur activité. En fait, il ne s’agit là que d’un motif d’inquiétude supplémentaire pour ce secteur auquel les marchés publics donnent déjà beaucoup de fil à retordre. «Un entrepreneur soumet une offre basée sur des prévisions en fonction des éléments de l’appel d’offres et essayera pendant l’exécution de rester aussi proche que possible de ces prévisions pour assurer sa rentabilité», explique-t-on auprès de la Fédération nationale du bâtiment et travaux publics (FNBTP). Or, cela est rendu difficile par plusieurs dysfonctionnements administratifs qui retardent l’exécution des projets et, in fine, affecte la rentabilité des entrepreneurs. En effet, du lancement à la réception des travaux, aucune phase n’est exempte de défauts selon les entrepreneurs.


Au premier stade de la procédure déjà, le décret de passation des marchés publics stipule qu’un maître d’ouvrage ne doit lancer un appel à concurrence que lorsque tous les documents nécessaires à l’exécution des travaux sont disponibles. L’entrepreneur est donc supposé se faire délivrer tous les plans techniques nécessaires dès le début des travaux, mais dans les faits cela est très rarement le cas. Le plus souvent, les plans remis sont incomplets ou élaborés avec retard, selon les témoignages des professionnels. «De plus, le cahier des charges oblige l’entrepreneur à vérifier les documents remis alors que cela ne relève pas de son champ de compétence», insiste la FNBTP. Et quand bien même l’entrepreneur émet des réserves par rapport aux documents fournis, le règlement des différends est souvent laborieux, notamment du fait que les échanges ne se font pas directement avec le maître d’ouvrage mais avec son bureau d’études. 

L’attachement est utilisé comme moyen de pression

Les permis nécessaires aux entrepreneurs (autorisation d’occuper un espace pour déposer l’outillage ou les déblais du chantier, permis de construire) sont eux aussi rarement délivrés à temps par les maîtres d’ouvrage. Cela donne parfois lieu à des situations cocasses avec par exemple des chantiers pour la construction de routes ou de ponts qui ne démarrent pas parce que l’ouverture d’une carrière provisoire à proximité n’est pas autorisée dans les délais. «Dans la majorité des cas, c’est in fine l’entrepreneur qui est contraint de décrocher les autorisations nécessaires», assure la FNBTP. Ceci alors qu’une prise en charge par le maître d’ouvrage permet en général de raccourcir les délais dans la mesure où le courant passe mieux entre administrations publiques.

Le lancement des chantiers est également perturbé par le peu d’informations fournies par certains maître d’ouvrage sur l’emplacement des canalisations d’eau ou du réseau téléphonique et d’électricité. «La plupart du temps, ce sont les entrepreneurs qui découvrent ces obstacles sur le chantier», affirme la fédération. A charge aux professionnels également de manipuler ces réseaux après avoir décroché les autorisations nécessaires et sollicité la présence des délégataires. 

En raison de ces défaillances dans la mise à disposition des lieux de travail de la part des maîtres d’ouvrage, les retards dans le début des travaux peuvent devenir conséquents. Pour éviter cela, l’initiateur du marché demande souvent à l’entrepreneur d’entamer une phase du chantier autre que celle initialement prévue, ce qui peut être dommageable. En effet, l’entrepreneur mobilise des ouvriers, des machines et des matériaux pour des masses de travail planifiées. Et si cette masse de travail vient à changer, l’entreprise doit quand même couvrir les charges relatives aux facteurs mobilisés. Pour rajouter au casse-tête des entrepreneurs, des perturbations du planning prévisionnel peuvent intervenir ultérieurement pour des raisons diverses telles qu’un changement de direction au niveau du donneur d’ordre ou de la maîtrise d’œuvre…   

Un autre problème qui se pose lors de la phase d’exécution des chantiers concerne le contrôle des travaux par le maître d’œuvre. «Cette opération doit se faire au fur et à mesure de l’avancement. Or, très souvent, un manque de diligence est constaté de la part des initiateurs des marchés», rapporte la FNBTP. Cela est très pénalisant dans le cas où l’entrepreneur est obligé de faire valider chaque étape au risque de devoir tout reprendre à zéro. 
Une autre procédure sujette à controverse est celle de «l’attachement». Il s’agit d’un document devant être dressé chaque mois pour récapituler l’avancement du chantier et qui est contresigné par le maître d’ouvrage. Bien que ce document soit incontournable pour le déblocage des paiements partiels au profit de l’entrepreneur, certains donneurs d’ordre ne se montrent pas très réactifs pour le signer, selon les témoignages des professionnels. L’on rapporte même que la signature de l’attachement est parfois utilisée comme moyen de pression pour obtenir des concessions de l’entrepreneur. 

Certes, l’administration est tenue, selon le cahier des clauses administratives générales (CCAG), de respecter certains délais pour contresigner l’attachement. Autrement, il est supposé admis par le maître d’ouvrage. Néanmoins, force est de constater que cette sanction n’est pas du tout respectée dans la pratique. Dès lors, l’entrepreneur lésé n’a plus de choix que d’adresser une réclamation à la tutelle du maître d’ouvrage, ce que l’on rechigne généralement à faire pour rester en bons termes avec le donneur d’ordre. Pour remédier à tout cela, la FNBTP demande la stricte application de délais de réponse pour les attachements au-delà desquels l’accord est supposé donné. 
Sur la base des attachements, l’entrepreneur élabore des décomptes partiels qui lui permettent de se faire payer au fur et à mesure que les travaux avancent. A ce niveau, les opérateurs sont pénalisés par les reports de crédit. Ceux-ci interviennent généralement au niveau des administrations entre décembre et mai, ce qui gèle tout paiement sur la période.

Arrivé à la phase de réception du marché, l’entrepreneur fait encore face à plusieurs autres problèmes. Là aussi l’administration est critiquée pour son manque de diligence pour constater les dates de réception. Ceci alors que les dates arrêtées sont déterminantes du fait que l’entrepreneur apporte sa garantie. En effet, la réception se fait en deux temps (provisoire puis définitive) entre lesquels doit s’écouler un an pendant lequel l’ouvrage est sous garantie. 

On exige des assurances pour des structures non assurables !

Le calvaire des entrepreneurs se prolonge lorsqu’ils souhaitent récupérer la caution et la retenue de garantie de 10% conservée par le maître d’ouvrage entre la date de réception provisoire et celle définitive. Souvent, les documents attestant de cette caution sont égarés ou volontairement retenus par le maître d’ouvrage, notamment pour disposer d’un moyen de pression pour d’autres marchés en cours, selon les témoignages des professionnels. Une situation d’autant plus pénalisante pour les petites et moyennes structures qui voient leurs charges d’intérêts s’alourdir et qui se retrouvent dans l’incapacité de renouveler leur ligne de cautionnement. Pour y remédier, la FNBTP propose la mise en place d’une libération automatique du cautionnement et la justification d’une rétention en cas de besoin.

Un autre dysfonctionnement concerne l’établissement du décompte définitif qui intervient pour solder la situation après le versement des décomptes partiels. En règle générale, beaucoup d’administrations délèguent le contrôle et le versement des décomptes provisoires à leur branche régionale ou provinciale. Le niveau central n’intervient qu’in fine pour valider le décompte définitif. «Et pour peu qu’il y ait engorgement au niveau central, les rejets interviennent en cascade», témoigne un professionnel. 

Enfin, au niveau de la phase de réception du marché, la souscription des assurances définitives par l’entrepreneur, notamment la garantie décennale, pose également problème. Il arrive que celle-ci soit systématiquement prévue par le cahier des charges de l’ouvrage alors qu’il s’agit de structures non assurables (barrages, bâtiments dans une enceinte portuaire …) ou non acceptées par les assureurs. Un simple oubli qui risque de gripper la liquidation de nombre de marchés.

Face à toutes ces failles, des recours restent possibles pour les entrepreneurs. A titre d’exemple, le maître d’ouvrage peut dresser un ordre d’arrêt qui stoppe le compteur du délai accordé pour la réalisation de l’ouvrage. Encore faut-il que l’entrepreneur dispose du pouvoir de négociation nécessaire… ou qu’il se résigne à graisser la patte.