Du lancement des travaux à leur réception, aucune phase
n'est exempte de dysfonctionnements qui retardent l'exécution des projets et
entament la rentabilité des entrepreneurs. Autorisations et plans techniques
fournis avec retard, manque de diligence dans le contrôle et la signature des
attachements, rétention injustifiée des cautions..., les problématiques sont
multiples.
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Les récentes coupes dans le budget d’investissement de l’Etat font
craindre aux entreprises du BTP une baisse d’activité plus prononcée, sachant
que la commande publique représente 70% de leur activité. En fait, il ne s’agit
là que d’un motif d’inquiétude supplémentaire pour ce secteur auquel les
marchés publics donnent déjà beaucoup de fil à retordre. «Un entrepreneur
soumet une offre basée sur des prévisions en fonction des éléments de l’appel
d’offres et essayera pendant l’exécution de rester aussi proche que possible de
ces prévisions pour assurer sa rentabilité», explique-t-on auprès de la
Fédération nationale du bâtiment et travaux publics (FNBTP). Or, cela est rendu
difficile par plusieurs dysfonctionnements administratifs qui retardent
l’exécution des projets et, in fine, affecte la rentabilité des entrepreneurs.
En effet, du lancement à la réception des travaux, aucune phase n’est exempte
de défauts selon les entrepreneurs.
Au premier stade de la
procédure déjà, le décret de passation des marchés publics stipule qu’un maître
d’ouvrage ne doit lancer un appel à concurrence que lorsque tous les documents
nécessaires à l’exécution des travaux sont disponibles. L’entrepreneur est donc
supposé se faire délivrer tous les plans techniques nécessaires dès le début
des travaux, mais dans les faits cela est très rarement le cas. Le plus
souvent, les plans remis sont incomplets ou élaborés avec retard, selon les
témoignages des professionnels. «De plus, le cahier des charges oblige
l’entrepreneur à vérifier les documents remis alors que cela ne relève pas de
son champ de compétence», insiste la FNBTP. Et quand bien même l’entrepreneur
émet des réserves par rapport aux documents fournis, le règlement des
différends est souvent laborieux, notamment du fait que les échanges ne se font
pas directement avec le maître d’ouvrage mais avec son bureau d’études.
L’attachement est utilisé comme moyen de pression
Les permis nécessaires aux
entrepreneurs (autorisation d’occuper un espace pour déposer l’outillage ou les
déblais du chantier, permis de construire) sont eux aussi rarement délivrés à
temps par les maîtres d’ouvrage. Cela donne parfois lieu à des situations
cocasses avec par exemple des chantiers pour la construction de routes ou de
ponts qui ne démarrent pas parce que l’ouverture d’une carrière provisoire à
proximité n’est pas autorisée dans les délais. «Dans la majorité des cas, c’est
in fine l’entrepreneur qui est contraint de décrocher les autorisations
nécessaires», assure la FNBTP. Ceci alors qu’une prise en charge par le maître
d’ouvrage permet en général de raccourcir les délais dans la mesure où le
courant passe mieux entre administrations publiques.
Le lancement des chantiers est
également perturbé par le peu d’informations fournies par certains maître d’ouvrage sur
l’emplacement des canalisations d’eau ou du réseau téléphonique et
d’électricité. «La plupart du temps, ce sont les entrepreneurs qui découvrent
ces obstacles sur le chantier», affirme la fédération. A charge aux
professionnels également de manipuler ces réseaux après avoir décroché les
autorisations nécessaires et sollicité la présence des délégataires.
En raison de ces défaillances
dans la mise à disposition des lieux de travail de la part des maîtres
d’ouvrage, les retards dans le début des travaux peuvent devenir conséquents.
Pour éviter cela, l’initiateur du marché demande souvent à l’entrepreneur
d’entamer une phase du chantier autre que celle initialement prévue, ce qui
peut être dommageable. En effet, l’entrepreneur mobilise des ouvriers, des
machines et des matériaux pour des masses de travail planifiées. Et si cette
masse de travail vient à changer, l’entreprise doit quand même couvrir les
charges relatives aux facteurs mobilisés. Pour rajouter au casse-tête des
entrepreneurs, des perturbations du planning prévisionnel peuvent intervenir
ultérieurement pour des raisons diverses telles qu’un changement de direction
au niveau du donneur d’ordre ou de la maîtrise d’œuvre…
Un autre problème qui se pose
lors de la phase d’exécution des chantiers concerne le contrôle des travaux par
le maître d’œuvre. «Cette opération doit se faire au fur et à mesure de
l’avancement. Or, très souvent, un manque de diligence est constaté de la part
des initiateurs des marchés», rapporte la FNBTP. Cela est très pénalisant dans
le cas où l’entrepreneur est obligé de faire valider chaque étape au risque de devoir tout reprendre
à zéro.
Une autre procédure sujette à
controverse est celle de «l’attachement». Il s’agit d’un document devant être
dressé chaque mois pour récapituler l’avancement du chantier et qui est contresigné par le
maître d’ouvrage. Bien que ce document soit incontournable pour le déblocage
des paiements partiels au profit de l’entrepreneur, certains donneurs d’ordre
ne se montrent pas très réactifs pour le signer, selon les témoignages des
professionnels. L’on rapporte même que la signature de l’attachement est
parfois utilisée comme moyen de pression pour obtenir des concessions de
l’entrepreneur.
Certes, l’administration est
tenue, selon le cahier des clauses administratives générales (CCAG), de
respecter certains délais pour contresigner l’attachement. Autrement, il est
supposé admis par le maître d’ouvrage. Néanmoins, force est de constater que
cette sanction n’est pas du tout respectée dans la pratique. Dès lors,
l’entrepreneur lésé n’a plus de choix que d’adresser une réclamation à la
tutelle du maître d’ouvrage, ce que l’on rechigne généralement à faire pour
rester en bons termes avec le donneur d’ordre. Pour remédier à tout cela, la
FNBTP demande la stricte application de délais de réponse pour les attachements
au-delà desquels l’accord est supposé donné.
Sur la base des attachements,
l’entrepreneur élabore des décomptes partiels qui lui permettent de se faire
payer au fur et à mesure que les travaux avancent. A ce niveau, les opérateurs
sont pénalisés par les reports de crédit. Ceux-ci interviennent généralement au
niveau des administrations entre décembre et mai, ce qui gèle tout paiement sur
la période.
Arrivé à la phase de réception
du marché, l’entrepreneur fait encore face à plusieurs autres problèmes. Là
aussi l’administration est critiquée pour son manque de diligence pour
constater les dates de réception. Ceci alors que les dates arrêtées sont
déterminantes du fait que l’entrepreneur apporte sa garantie. En effet, la
réception se fait en deux temps (provisoire puis définitive) entre lesquels
doit s’écouler un an pendant lequel l’ouvrage est sous garantie.
On exige des assurances pour des structures non assurables !
Le calvaire des entrepreneurs
se prolonge lorsqu’ils souhaitent récupérer la caution et la retenue de
garantie de 10% conservée par le maître d’ouvrage entre la date de réception
provisoire et celle définitive. Souvent, les documents attestant de cette caution
sont égarés ou volontairement retenus par le maître d’ouvrage, notamment pour
disposer d’un moyen de pression pour d’autres marchés en cours, selon les
témoignages des professionnels. Une situation d’autant plus pénalisante pour
les petites et moyennes structures qui voient leurs charges d’intérêts
s’alourdir et qui se retrouvent dans l’incapacité de renouveler leur ligne de
cautionnement. Pour y remédier, la FNBTP propose la mise en place d’une
libération automatique du cautionnement et la justification d’une rétention en
cas de besoin.
Un autre dysfonctionnement
concerne l’établissement du décompte définitif qui intervient pour solder la
situation après le versement des décomptes partiels. En règle générale,
beaucoup d’administrations délèguent le contrôle et le versement des décomptes
provisoires à leur branche régionale ou provinciale. Le niveau central
n’intervient qu’in fine pour valider le décompte définitif. «Et pour peu qu’il
y ait engorgement au niveau central, les rejets interviennent en cascade»,
témoigne un professionnel.
Enfin, au niveau de la phase
de réception du marché, la souscription des assurances définitives par
l’entrepreneur, notamment la garantie décennale, pose également problème. Il
arrive que celle-ci soit systématiquement prévue par le cahier des charges de
l’ouvrage alors qu’il s’agit de structures non assurables (barrages, bâtiments
dans une enceinte portuaire …) ou non acceptées par les assureurs. Un simple
oubli qui risque de gripper la liquidation de nombre de marchés.
Face à toutes ces failles, des
recours restent possibles pour les entrepreneurs. A titre d’exemple, le maître
d’ouvrage peut dresser un ordre d’arrêt qui stoppe le compteur du délai accordé
pour la réalisation de l’ouvrage. Encore faut-il que l’entrepreneur dispose du
pouvoir de négociation nécessaire… ou qu’il se résigne à graisser la patte.