Longtemps, la dépense publique fut une valeur de gauche: l'Etat devait être
toujours plus protecteur, plus réparateur, plus présent. Cette époque est
révolue, du moins dans les discours.
Pour François Hollande, la révélation
remonte à quatre mois. Bien sûr, le candidat avait inscrit dans son projet une
réduction des dépenses de 50 milliards d'euros en cinq ans. C'était une purge
destinée à complaire aux marchés et à l'Europe. Le 13 novembre, lors d'une
conférence de presse, le président s'approprie un langage que Nicolas Sarkozy
n'aurait pas récusé: "Est-ce qu'on vit mieux avec 57 % de produit intérieur brut
de dépenses publiques, alors que c'était 52 % il y a cinq ans? [...] Nous devons
être capables de faire mieux en dépensant moins."Espace publicitaire : Avez-vous besoin d’une formation ou conseil en marchés publics, veuillez prendre directement contact avec le consultant du Centre des Marchés Publics par téléphone au +212 666 716 600 ou par email
La conversion des députés socialistes, elle, est toute récente. "Les efforts
principaux" doivent porter sur des "économies", reconnaît Thierry Mandon,
porte-parole du groupe PS à l'Assemblée, le 26 février. La nécessité de réduire
les déficits n'est pas remise en question et la voie fiscale a épuisé ses
charmes.
D'abord, parce qu'en période de quasi-récession peser sur la dépense, c'est
risquer d'accentuer la déprime économique et de dégrader encore plus la
situation sociale.
Ensuite, parce que l'addition de la rigueur ne cesse d'augmenter. Aux 50
milliards du programme du candidat - que beaucoup de députés et certains
ministres n'avaient pas très bien lu - s'ajoutent 10 milliards d'euros (à
trouver en 2014 et 2015) pour financer une partie du crédit d'impôt en faveur de
la compétitivité des entreprises. Il faut aussi compenser toutes les nouvelles
dépenses par des économies correspondantes. Il faudra, enfin, que les déficits
publics repassent sous la barre des 3 % du produit intérieur brut (PIB) en 2014.
"Nettement" en dessous, demande même Olli Rehn, commissaire européen aux
affaires économiques. C'est à cette condition que Bruxelles accordera à la
France le sursis d'un an qu'elle demande - elle devait atteindre les 3 % en
2013.
Cette exigence passe donc par de nouveaux efforts: plusieurs milliards
d'euros - le montant exact sera connu à la mi-avril. Là encore, les sacrifices
viendront principalement des dépenses et, "subsidiairement", des impôts, a dit
le président de la République. L'arme fiscale n'est pas complètement
abandonnée...
Il ne suffit pas de faire la chasse aux abus...
L'exécutif s'est doté d'une méthode: la MAP, acronyme pour "modernisation de
l'action publique". En cinq ans, toutes les dépenses de l'Etat, de la Sécurité
sociale et des collectivités locales - 1100 milliards d'euros - seront évaluées.
Les 60 milliards d'économies (au moins) découleront de cet audit. Dans un
premier temps, 40
politiques publiques sont étudiées, dont les aides aux familles, au
logement, aux entreprises, ainsi que la formation professionnelle. Cela demande
un "effort culturel important", soulignait Didier Migaud, premier président de
la Cour des comptes, le 10 janvier. Bien vu: si les députés ont compris qu'il
fallait agir sur la dépense, bien peu font des propositions concrètes en ce
sens.
Or il ne suffit pas de faire la chasse aux abus: faciles à désigner, ils ne
sont que la partie visible d'un problème plus profond, l'organisation
administrative elle-même. Cette dernière souffre de cette maladie du
millefeuille, si typiquement française: on empile des dispositifs sans jamais
s'interroger sur leur efficacité.
Il faut aussi avoir le courage de toucher au train de vie des Français, à
celui des classes moyennes, pourtant sanctuarisées dans le discours politique.
Dire, par exemple, à des familles à l'aise sans être riches qu'elles peuvent
supporter une baisse des aides familiales. Aux retraités qui touchent une
pension décente, qu'ils doivent sacrifier un peu de leur pouvoir d'achat. Aux
cadres diplômés, qu'ils ont moins besoin de formation professionnelle qu'un
jeune sorti démuni du système scolaire. C'est un chaud partisan de la maîtrise
des dépenses publiques, Alain Juppé, qui
le reconnaissait dans un entretien à L'Express: "Il y a bien sûr des
gaspillages et il faut les éradiquer, mais l'essentiel de la dépense est utile.
Et quand on s'attaque aux vraies dépenses, cela fait mal."
Surtout quand on touche aux fonctionnaires - sujet délicat pour la gauche. Et
incontournable, puisque la masse salariale des agents publics représente 23,9 %
de la dépense publique. C'est l'Institut Montaigne, think tank d'inspiration
libérale, qui pointe ce chiffre dans une récente et passionnante étude
(Redonner sens et efficacité à la dépense publique. 15 propositions pour 60
milliards d'économies). Parmi la panoplie de mesures désagréables qu'il
suggère, il cite la règle du non-remplacement de 1 fonctionnaire sur 2 partant
en retraite - supprimée par François Hollande. A elle seule, cette mesure
permettrait d'économiser 1,8 milliard d'euros la première année et 9 milliards
en 2017. Au total, 450 à 500 milliards d'euros de dette publique supplémentaire
pourraient être évités.
Qu'il s'agisse de traquer les gaspillages ou de remodeler les politiques, la
tâche est ingrate. Pas impossible. En s'appuyant notamment sur le travail de la
Cour des comptes, L'Express a enquêté pour pointer les cas parmi les plus
choquants.