09/06/2012

Droit des marchés publics : " L'effectivité des principes généraux de la commande publique"


Le professeur Pierre Delvolvé considère que « La notion de commande publique est d’autant plus en vogue que c’est une notion vague » (RDP 2001).
Il n’existe effectivement aucune définition stricte et établie par le droit de la notion de « commande publique ».
D’un point de vue général, cette notion peut désigner l’ensemble des contrats passés par les personnes publiques pour répondre à leurs besoins propres ou ceux du service dont ils ont la charge.
On pourrait donc considérer que, dès qu’il y a un contrat signé par une personne publique, on est en présence de commande publique.

Ce n’est cependant pas exactement ce que le droit de l’union européenne entend la notion de commande publique. En effet, il a une conception plus large des « personnes publiques » et a déjà considéré qu’une personne privée pouvait être une « entité adjudicatrice ».
On appelle « Principe Généraux de la commande publique » les trois principes dont dispose l’article 1-II du Code des marchés publics.
Il s’agit du libre accès à la commande publique, de l’égalité de traitement entre les candidats et des la transparence des procédures.
Ces principes sont issus d’une interprétation jurisprudentielle du principe de non-discrimination dont disposent l’ensemble des traités institutionnels de l’Union Européenne.
Ces principes ont été intégrés au droit français par le décret du 7 mars 2001.
La notion d’ «effectivité» est d’avantage managériale ou économique que juridique. Elle désigne la capacité de quelque chose ou de quelqu’un à accomplir la mission ou la tache pour laquelle on l’a choisi. Plus simplement, la notion d’effectivité recoupe l’idée d’efficacité dans la réalisation d’une tache.
En somme, le sujet à traiter « l’effectivité des principes généraux de la commande publique » tend à établir un jugement de valeur sur l’utilité et l’efficacité des principes généraux de la commande publique depuis leur intégration en droit interne par le décret du 7 mars 2001.
On ne prétendra pas faire une critique de l’évolution législative que constitue la naissance des Principes Généraux de la Commande Publique, mais plutôt une étude comparative du droit des marchés publics avant et après l’intégration de ces grands principes dans notre droit.
On évoquera d’abord l’apparente absence de portée juridique des « Principes Généraux de la Commande Publique » (Première partie), puis leur réelle effectivité (Deuxième partie).

PREMIERE PARTIE : L’APPARENTE ABSENCE DE PORTEE JURIDIQUE DES PRINCIPES GENERAUX DE LA COMMANDE PUBLIQUE
Il a pu être soutenu que l’édiction des « Principes Généraux de la Commande Publique » était inutile, car ils n’auraient pas de portée juridique propre.
En effet, le fait d’insérer ces « Principes Généraux de la Commande Publique » dans le Code des Marchés Publics ne leur confère pas une portée absolue dans la mesure où leur contenu et leur philosophie était déjà prise en compte par le droit antérieur (I).
Cependant, les élever au rang de principes à valeur constitutionnelle n’était pas dénué d’utilité (II).
I) L’inutilité d’édicter des PGCP auparavant déjà pris en compte par le droit antérieur
Il semble en effet qu’il n’était pas absolument vital d’édicter les « Principes Généraux de la Commande Publique » et de les insérer au sein de notre Code des Marchés Publics dans ses articles préliminaires pour deux raisons : tout d’abord parce que la philosophie qu’ils sous-tendent était déjà partiellement prise en compte par notre droit national de l’adjudication (A), mais également parce que elle était déjà prise en compte par le droit de l’Union Européenne (B)

A) Une philosophie déjà partiellement prise en compte par le droit national
Le droit français des marchés publics ne s’est pas créé sous l’influence du droit de l’union européenne.
En effet, notre droit n’a pas intégré les principes de liberté d’accès aux marchés, d’égalité de traitement des candidats et de la transparence des procédures du seul fait des Traités et des directives européennes.
En réalité, ces grands principes étaient déjà partiellement respectés par notre ancien droit.
Selon A. Christophle et P. Auger, le système de l’adjudication « a été entièrement organisé sous la Monarchie » (Traité théorique et pratique des travaux publics, 1889, N°327)
Ce système a été réformé après la fin de la restauration, par l’édiction de la loi du 12 janvier 1833, qui impose de façon générale aux communes « de recourir à l’adjudication » pour la conclusion de leurs contrats.
Deux nouvelles ordonnances de 1836 et 1837 imposent que les marchés conclu par les communes et l’état le seront avec « concurrence et publication », ce qui démontre bien que le principe de la transparence existait déjà dans l’ancien droit, bien avant l’édiction des « Principes Généraux de la Commande Publique ».
Concurrence et publication étaient déjà vus à sous cette période comme des garanties de la transparence dans la conclusions de marchés publics.
En effet, le législateur de l’époque connaissait parfaitement les objectifs poursuivis par l’édiction de ces exigences.
Les obligations de concurrence et de publication évitaient que des marchés soient conclus « sous le manteau » (Dubois Aymé, 1833).
Cependant, il serait inexact de dire que l’existence d’un droit de l’adjudication a empêché de façon efficace le versement de commissions occultes et la propagation de la corruption des élus locaux.
Le droit des marchés publics français, existant en tant que tel, et disposant des principes de publicité et de mise en concurrence, n’a pas moralisé la pratique pour autant.
Le premier code des marchés publics de 1964 comportait différentes procédures de passation imposant la publicité et la mise en concurrence.
Cependant, la l’égal accès des candidats aux marchés n’était pas nécessairement garantie.
La non-discrimination entre les candidats (notamment du fait de la nationalité) n’était pas non plus un principe reconnu.
C’est dans cette mesure qu’on peut dire que le droit de l’Union Européenne a complété substantiellement le droit français des marchés publics et la philosophie qui y est afférente.

B) Une philosophie complétée par le Droit de l’Union Européenne
Le droit de l’Union Européenne issu des différents traités a entendu règlementer les marchés publics.
Les traités européens ont toujours disposé de Libertés Fondamentales, telles les libertés de circulations de marchandises, de capitaux, de personnes ou encore la libre prestation de services au sein de l’Union.
Ces libertés sont d’application directe. Cela implique la liberté d’accès aux marchés publics par des opérateurs étrangers, même hors-Union Européenne.
Les traités disposent également du principe de non-discrimination tenant à la nationalité.
C’est ainsi qu’a été décidé que le principe de non-discrimination tenant à la nationalité issu des traités doit être applicable en droit des marchés publics, ce qui implique un libre accès des candidats –même étrangers non-ressortissants de l’Union Européenne- aux différents marchés publics en Europe (directives « libéralisation » des années 69-71)
D’autres directives ont modifié les procédures de passation des marchés publics entre les années 70 et aujourd’hui.
Ces très nombreuses directives ont été refondues dans la directive 2004/18 relative à la coordination des procédures de marchés publics de travaux, de fournitures et de services, et dans la directive 2004/17 portant coordination des procédures de passation des marchés publics dans les secteurs spéciaux (eau, énergie, transports, services postaux).
La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne a elle aussi consacré le principe de non-discrimination à raison de la nationalité comme étant un principe fondamental issu des traités, ce qui implique une exigence de transparence générale (CJCE, 7 décembre 2000, Teleaustria, C-324/98)
Cela signifie que cette exigence devrait ne pas s’appliquer uniquement aux marchés publics stricto sensu, mais également à l’ensemble des marchés qui n’entrent pas dans le champ d’application des directives relatives aux procédures de passation des marchés publics.
Ainsi, les marchés d’un montant inférieur aux seuils dont disposent les directives devraient en tout état de cause être conclus avec publication et concurrence.
Malgré cette jurisprudence, il existe tout de même de nombreuses exceptions à ces obligations, admises aussi bien par le droit de l’Union que par le droit français.
Néanmoins, cette jurisprudence a emporté de larges effets sur le droit français.
On peut considérer que c’est cette décision qui a influencé l’édiction des principes généraux de la commande publique en droit français.
L’article 1-I° du code des marchés publics a été intégré par le décret du 7 mars 2001, et dispose que « les marchés et accords-cadres soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence de procédure. Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics »
On peut donc dire qu’il n’y avait pas d’impératif juridique à intégrer ces « Principes Généraux de la Commande Publique » dans notre droit, dans la mesure où le droit de l’union européenne, du fait de ses compétences relatives à la libre concurrence et des directives y afférentes en matière de marchés publics, régissait déjà l’ensemble de la matière.
Même si les directives communautaires nécessitaient une transposition par les droits internes des Etats-membres, il était inutile d’édicter des principes généraux dans la mesure où le droit de l’Union Européenne applicable à la matière faisait déjà indirectement partie intégrante de notre droit.
En somme, il était inutile d’édicter des « grands principes » alors qu’un droit supérieur au notre le faisait déjà.
Il est donc logique de penser qu’il n’y avait pas non plus d’utilité à élever ces « Principes Généraux de la Commande Publique » en Principes à valeur constitutionnelle, comme l’a pourtant fait le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 26 juin 2003 relative à la Loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit.
La réalité est cependant toute autre (II.)

II) L’apparente inutilité de conférer valeur constitutionnelle aux PGCP
Même si la philosophie inhérente aux PGCP était déjà posée par le droit interne et le droit de l’union européenne, il était important de leur conférer une valeur constitutionnelle pour deux raisons : d’une part pour que les pouvoirs adjudicateurs en garantissent le respect plus fermement que si les dispositions étaient issues d’une simple loi (A.), et d’autre part pour que ces principes s’imposent plus fortement au législateur dans l’édiction des règles relatives à l’adjudication (B.)

A) La reconnaissance de principes s’appliquant aux pouvoirs adjudicateurs
Il est constant qu’une règle à valeur constitutionnelle est nécessairement supérieure aux règles à valeur législative ou règlementaire.
La décision du Conseil en date du 26 juin 2003 confère la valeur constitutionnelle aux « principes généraux de la commande publique » et permet de ce fait de les imposer aux pouvoir adjudicateurs avec d’avantage de force que par un simple acte règlementaire.
En effet, le droit des marchés publics ressort en principe de la compétence quasi-exclusive du pouvoir règlementaire.
Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 22 aout 2002 relative à la Loi d’Orientation pour la Sécurité Intérieure, a décidé que « ni l’article 34 de la Constitution ni aucune autre règle de valeur constitutionnelle n’exige que les conditions de passation des marchés passés par l’état soient définies par la loi ».
En revanche, les conditions de passation des marchés passés par les collectivités locales devraient, en vertu d’une combinaison des articles 34 et 72 de la Constitution du 3 octobre 1958, êtres fixés par voie législative (CE. 29 avril 1981, Ordre des architectes)
Ce n’est cependant pas ce que le Conseil d’Etat a décidé dans cet arrêt, décidant que le pouvoir règlementaire peut édicter des règles relatives aux conditions de passation des marchés publics des collectivités locales en vertu d’un décret de 1938.
Le débat de savoir si le droit des marchés publics doit émaner du pouvoir règlementaire ou législatif a produit de très grandes incertitudes juridiques.
L’intérêt de conférer valeur constitutionnelle à ces principes généraux était de garantir le respect de prescriptions minimales en tout état de cause, que la procédure de passation concerne l’Etat ou une collectivité, que la règle soit d’origine règlementaire ou législative.
Ainsi, l’élévation des « Principes Généraux de la Commande Publique » au rang de principes à valeur constitutionnelle a permis une simplification implicite de l’ensemble du droit interne des marchés publics, les « Principes Généraux de la Commande Publique » étant des principes qui s’appliquent à l’ensemble des procédures, même si elles sont non-formalisées.
Le pouvoir adjudicateur sait, en tout état de cause, qu’il doit garantir le libre accès des candidats au marché, un traitement égalitaire entre eux, et la transparence de la procédure.
Les « Principes Généraux de la Commande Publique » ont donc servi à clarifier les exigences fondamentales inhérentes à la passation de tout contrat de commande publique.
Ainsi, ces « Principes Généraux de la Commande Publique » forment une sorte de « Constitution morale de l’achat public » (2ème Partie ; II) A. Les bénéfices de la réforme : la constituion morale de l’achat public).
Cette avancée emporte aussi des effets dans le chef du législateur lui-même (B.)

B) La reconnaissance de principes s’imposant au législateur
Les principes Généraux de la Commande Publique », ayant valeur constitutionnelle s’appliquent nécessairement au législateur, qu’il soit le Parlement, le Gouvernement ou l’administration. (DC du 6 juin 2003, Loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit)
Il y avait dans le code des marchés publics de 2001 un grand nombre d’illégalités au regard du droit communautaire, si on en croit l’avis de la commission européenne en date du 17 octobre 2002.
Selon nous, l’intérêt d’avoir élevé les « Principes Généraux de la Commande Publique » au rang de valeur constitutionnelle réside dans deux explications.
Tout d’abord, on peut expliquer l’utilité de cette élévation au rang de norme suprême par la volonté d’encadrer le travail du législateur.
Ainsi en principe, le législateur ne peut pas édicter des règles qui remettraient en cause les « Principes Généraux de la Commande Publique » de l’article 1 du Code des marchés publics.
Il doit se conformer aux prescriptions des traités et directives européennes, mais également à ces principes généraux puisqu’ils font partie du bloc de constitutionnalité.
En deuxième lieu, on peut expliquer cette élévation au rang de norme suprême par une volonté d’autonomie du droit français en la matière des marchés publics.
En effet, dans l’ordonnancement juridique français, la Constitution et le bloc de constitutionnalité sont les règles suprêmes.
Ils ont même une valeur supérieure aux traités internationaux dans la mesure où la constitution est révisée à chaque intégration d’un traité qui pourrait emporter des contrariétés.
Ainsi, notre droit interne découle de son entier de la norme suprême, la constitution. Les « Principes Généraux de la Commande Publique » encadrent alors nécessairement l’édiction du droit interne.
Cela implique qu’en cas de contrariété entre le droit de l’Union et le droit des marchés publics interne, notre droit interne peut rester valide au regard de la constitution par nos juges internes, évitant ainsi l’annulation massive de contrats nécessaires au bon fonctionnement de l’état ou des collectivités locales.
Ainsi, l’édiction d’une norme suprême relative aux marchés publics peut permettre une certaine autonomie du droit interne.
Par exemple, le principe d’égalité n’est pas interprété de la même façon par les juridictions internes et par la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Disposer d’une norme-cadre interne relative aux marchés publics permet alors une interprétation interne et autonome des règles, et donc, une application plus favorable et flexible par les pouvoirs adjudicateurs nationaux.
Il nous semble que l’édiction des « Principes Généraux de la Commande Publique » a permis en réalité au droit français de l’adjudication de pouvoir conserver – du moins en partie- ses spécificités et un semblant d’autonomie.
Cette autonomie a démontré son utilité durant la crise de 2008, l’Etat ayant alors recouru – entre autres - aux marchés publics pour relancer l’économie.
Après avoir écarté les critiques tenant à l’inutilité apparente de l’existence des « Principes Généraux de la Commande Publique », il convient maintenant de s’intéresser à leur réelle effectivité. (Deuxième Partie : la réelle effectivité des « Principes Généraux de la Commande Publique »)
Ont-ils produits des effets dans l’ensemble du droit des marchés publics ?

DEUXIEME PARTIE : LA REELLE EFFECTIVITE DES PRINCIPES GENERAUX DE LA COMMANDE PUBLIQUE
"Les Principes Généraux de la Commande Publique démontrent la plénitude de leurs effets au travers de l’élargissement des recours visant à contester la régularité ou la légalité de la procédure de passation (I) ; cependant, certaines lacunes ont subsisté en droit de la commande publique, ce qui laisse conclure à une efficacité contrastée de ces principes généraux (II)

I) Une efficacité démontrée par l’élargissement des voies de contestation de la régularité de l’adjudication
ction des « Principes Généraux de la Commande Publique » a produit de nombreux effets en droit de la commande publique. Mais leur influence a été plus grande encore sur les règles du contentieux administratif qui y sont afférentes.

En effet, l’adoption des « Principes Généraux de la Commande Publique » dans notre droit interne a participé à la plénitude des recours en contestation de la légalité de la décision d’adjudication (A), tout en limitant l’étendue des recours dilatoires portant préjudice à un achat public efficace (B).

A) La plénitude des recours ouverts contre la légalité la procédure de passation
L’importante réforme issue de l’ordonnance du 7 mai 2009 qui crée le « référé contractuel » et qui modifie le « référé précontractuel » (art. L.551-1 et 551-5 du code de Justice Administrative), les recours dirigés contre des contrats de la commande publique étaient souvent compromis.
En effet, il n’existait que deux recours possibles pour les personnes désireuses de contester la passation.
Le premier est un recours en référé précontractuel créé par la loi du 29 décembre 1993.
Le référé précontractuel est ouvert à l’ensemble des personnes « qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésés par le manquement commis. » (art. L.551-10 du code de Justice Administrative)
Ce recours est en principe considéré irrecevable si le contrat est déjà signé lors de l’introduction de la requête (CE. Section, 3 novembre 1995, CCI de Tarbes)
Cependant, depuis la loi du 30 juin 2000 et l’ordonnance du 7 mai 2009, l’introduction d’un recours en référé précontractuel accompagnée d’une notification aux parties, emporte automatiquement la suspension de la signature du contrat pour une durée de vingt jours maximum. (art. L.551-4 et 551-9 du code de Justice Administrative).
Ce recours n’est pas un recours en annulation, mais un recours de plein contentieux.
Le juge y dispose en effet de pouvoir très étendus, qui ne se limitent pas à la simple annulation de l’acte comme c’est le cas dans le recours pour excès de pouvoir.
Les moyens invocables à l’appui du recours sont multiples, et la violation des « Principes Généraux de la Commande Publique » en fait partie (art. L.551-18 et suivants du Code de Justice Administrative).
On peut donc dire que ce recours en référé précontractuel permet largement un recours contre la procédure de passation du contrat, dans la mesure où celui-ci n’est pas introduit longtemps après la signature du contrat litigieux.
Dès lors que le contrat n’est pas encore signé, toute personne « lésée » par sa conclusion peut introduire un tel recours.
Le second est un recours en excès de pouvoir contre les actes détachables ou les clauses règlementaires d’un contrat.
En principe, le recours en excès de pouvoir n’est pas admis à l’encontre d’un contrat (CE. Section, 14 mars 1997, Cie d’aménagement des coteaux de Gascogne)
C’est pourquoi le Conseil d’Etat a admis au début du XXème siècle la recevabilité des recours dirigés contres les actes détachables du contrat mais qui ont néanmoins participé à sa formation (CE.11 décembre 1903, Cne de Gorre ; CE. Ass, 4 aout 1905, Martin)
Ainsi, l’annulation de la délibération d’une assemblée délibérante autorisant le Maire de la commune à signer le contrat peut emporter, par l’application de la théorie des actes détachables, annulation du contrat lui-même.
Il est également possible de faire valoir qu’une clause règlementaire insérée dans le contrat est illégale par elle-même, et que son illégalité emporte nécessairement l’illégalité du contrat (voir en ce sens, CE.sect, 25 novembre 1998, Sté Luxembourgeoise de télédiffusion)
Il existait différentes hypothèses dans lesquelles des personnes lésées par la conclusion du contrat n’avaient la possibilité d’introduire aucun recours, si le contrat était déjà conclu, où tout simplement si les actes accessoires au contrat n’étaient pas illégaux.
De plus, depuis l’important arrêt de 2001 Commune d’Avrilliers, il appartient au juge administratif de décider si l’annulation qu’il compte prononcer dans le cadre de cette procédure est opportune ou non.
En somme, s’il estime que l’annulation emporte une « atteinte excessive à l’intérêt général », le juge peut passer outre l’annulation.
Il était donc assez malaisé de réussir à obtenir l’annulation du contrat.
Depuis l’ordonnance de 2009, un nouveau recours a été introduit en droit français. Il s’agit du référé contractuel.
La réforme introduite par l’ordonnance du 7 mai 2009 a été inspirée par la directive 2007/66 du 11 décembre 2007, elle même inspirée d’une importante jurisprudence du Conseil d’Etat (CE. Ass. 16 juillet 2007, Sté Tropic Travaux Signalisation Guadeloupe)
Même s’il implique une saisine du juge du contrat, ce recours prend d’avantage la forme d’un recours en plein contentieux, dans la mesure où le juge dispose d’un large panel de mesures pour résoudre le litige.
Ce recours est en principe ouvert uniquement aux parties au contrat (CE. Sect. 22 avril 1988, Labit)
Cependant, l’arrêt « Tropic » a permis d’admettre que les recours introduits par des concurrents évincés sont recevables.
Cela permet un véritable élargissement des personnes disposant d’un intérêt pour agir à l’encontre du contrat déjà formé.
En somme, on peut constater qu’il n’existe plus aujourd’hui de carence au niveau des recours : l’existence de ces trois recours permet la contestation efficace des contrats litigieux en cas de violation des « Principes Généraux de la Commande Publique ».
Cependant, il ne fallait pas que la plénitude des recours puisse porter une atteinte à l’efficacité de l’achat public en permettant une multiplication des recours dilatoires.

B) La limitation des recours dilatoires portant atteinte à un achat public efficace
ion des « Principes Généraux de la Commande Publique » n’a pas eu pour objet d’encadrer trop strictement les procédures de passation des marchés publics en particulier et des contrats publics en général.

Le but n’était évidemment pas de limiter l’action des personnes publiques désireuse de contracter.
Cette même logique se retrouve en ce qui concerne les recours en contestation de la formation du contrat.
En effet, les textes et la jurisprudence interne et communautaire ont tenté d’encadrer la possibilité d’introduire différents recours contre un même contrat, et ce afin de ne pas porter atteinte à la conclusion de contrats nécessaires à l’intérêt général.
L’autre raison de cet encadrement, c’est que l’existence d’un référé contractuel permet en principe la contestation du contrat, même longtemps après sa signature, ce qui pourrait emporter, si l’illégalité est suffisamment grave, l’annulation du contrat contesté. (CE. Sect. 10 novembre 2003, Institut de recherche et de développement)
C’est pourquoi ont été précisé des règles de prescription et d’interdiction des recours parallèles.
L’action en nullité absolue du contrat se prescrit par trente ans. (CE. 1937, Commune d’Arzon).
L’action en nullité relative se prescrit quant à elle par cinq ans (CE. 19 décembre 2007, Sté Campenon-Bernard)
Une partie au contrat peut contester celui-ci durant toute la durée d’exécution de celui-ci.
En matière de référé contractuel, l’action est prescrite deux mois après notification de l’avis d’attribution du marché au candidat retenu.
Pour éviter les recours dilatoires, ou pouvant emporter des conséquences dommageables sur le service public ou le fonctionnement de la collectivité, les législateurs européens et français ont posé l’interdiction des recours parallèles.
Cela implique alors qu’un recours en référé contractuel n’est pas recevable si un recours en référé précontractuel a été tenté et a échoué auparavant.(art. L.551-14 du Code de Justice Administrative)
En effet, selon les conclusions de Didier Casas sous l’arrêt TROPIC, le recours en référé contractuel n’a pas été admis par le Conseil d’Etat dans l’optique de permettre une augmentation de l’annulation de contrats publics illégaux ou passés en violation des « Principes Généraux de la Commande Publique ».
En effet, la volonté du Conseil d’Etat (influencée par la directive recours) était d’ouvrir un recours permettant de contester le contrat sans nécessairement en obtenir l’annulation, mais permettant, le cas échéant, une régularisation des vices.
C’est justement ce qui est advenu dans l’arrêt Tropic :
« 4) Saisi de telles conclusions (d’une demande d’annulation) par un concurrent évincé, il appartient au juge, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d’accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants, d’annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat. »
(CE. Ass. 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation Guadeloupe)

On peut donc déduire que la réforme induite par l’arrêt « Tropic » répondait parfaitement aux exigences de la directive recours de 2007, mais également du point de vue des principes généraux de la commande publique : elle permet à un candidat évincé, en cas de violation de l’exigence de publicité adéquate, de saisir le juge efficacement et en temps utile, permettant ainsi une nouvelle publicité, une nouvelle procédure, et par là même le respect du principe de libre accès au marché et l’égalité entre les candidats.
De plus, la limitation des recours dilatoires permet au contraire, comme l’exige la lettre de l’article 1-II° du Code des Marchés Publics « d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ».
Cependant, il serait inexact de conclure à un succès fracassant des « Principes Généraux de la Commande Publique ».
On peut considérer que leur efficacité est, au final, relativement contrastée (II.)

II) Une efficacité contrastée
L'adoption des « Principes Généraux de la Commande Publique » a produit des effets contrastés. On peut certes dans un premier temps reconnaître que leur introduction dans le Code des Marchés Publics a eu pour effet de créer une véritable « constitution de l’achat public » (A). Cependant, il est possible de constater que ces principes, d’une force et d’une portée considérables, sont trop vagues et interprétables de façon large pour être applicables efficacement par les praticiens (B)

A) Les bénéfices de la réforme : une constitution morale de l’achat public
Il est indéniable que l’édiction des « Principes Généraux de la Commande Publique » a pu emporter des conséquences très favorables sur notre droit des marchés publics.
En effet, la « vague de textes » européens et internes relatifs aux marchés publics ne permettent pas une lisibilité générale des exigences spécifiques des marchés publics.
Plus simplement, on peut dire que l’inintelligibilité du droit des marchés publics aux yeux de l’homme de la rue (et même parfois aux yeux de l’homme de la mairie ou du conseil général) a été réparée par l’édiction de ces principes.
En effet, avec des principes simples, larges, mais conceptuellement forts de sens, les candidats et les pouvoirs adjudicateurs ont une « ligne de conduite » dans la tenue de la procédure de passation des marchés.
On peut même dire que ces principes généraux ont une véritable utilité morale.
En effet, on pourrait considérer ces Principes Généraux comme une véritable« Constitution morale de l’achat public ».
Car cette « Constitution morale » dispose de principes fondamentaux qui sont certes applicables aux acheteurs publics et aux candidats, mais également au législateur !
Selon le professeur Pierre Delvolvé, ces principes de la commande publique sont assimilables aux principes généraux républicains : « liberté, égalité, publicité »
Cela a comme conséquence finale une certaine moralisation, voire une certaine rationalisation des procédures d’adjudication.
Cependant, le constat de la rationalisation est en demi-teinte.
Les principes généraux de la commande publique, en principe applicables à l’ensemble des contrats publics, emportent des conséquences quant à l’intelligibilité du droit de la commande publique dans sa pratique (B.)

B) Les effets néfastes de la réforme : la difficile intelligibilité des principes dans la pratique
L'édiction des principes généraux de la commande publique comporte deux inconvénients.
Le premier tient au fait que ce sont des principes surabondants à une multitude de textes préexistants.
Il existe des incohérences et des contradictions entre les textes procéduraux précis et les principes flous et larges, ce qui peuvent induire en erreur les pouvoirs adjudicateurs, et même les candidats.
En effet, comment comprendre – et expliquer- par exemple que la procédure de dialogue compétitif comporte une phase de négociation qui peut être quasi-occulte alors que le principe général de transparence devrait s’appliquer ?
Le second inconvénient qu’emporte l’édiction des « Principes Généraux de la Commande Publique », c’est que leur édiction n’a pas provoqué de grand bouleversement d’un strict point de vue jurisprudentiel.
En effet, seuls une dizaine d’arrêts d’appel ont été rendus depuis 2001 en motivant leur décision sur la violation de ces principes généraux de la commande publique.
Cela signifie alors que les juges saisis de contestations de la formation d’un contrat vont d’avantage procéder un usant de la technicité des textes spécifiques à chaque procédure de passation qu’en usant des principes généraux.
C’est pourquoi nous considérons que les Principes Généraux de la Commande Publique, même s’ils ne sont pas dénués d’utilité, ne sont certainement pas « efficaces », au sens le plus managérial du terme.
Même si leur existence a provoqué, peu ou prou, des mutations positives du droit de la commande publique, il n’en reste pas moins qu’ils constituent, une fois de plus, les signes d’une inflation législative grandissante et qui porte atteinte à deux principes fondamentaux et considérés eux aussi par le Conseil Constitutionnel comme des principes a valeur constitutionnelle: les impératifs d’intelligibilité de la loi et de sécurité juridique.