09/06/2011

«À défaut d’une forte implication des PME, les efforts d’investissement se traduiraient en creusement de déficits extérieurs»

Les PME marocaines peuvent être un locomotive de développement sur certains secteurs de niches où elles ont fait leur preuve. En plus des mesures actuelles d’accompagnement des PME, d’autres outils doivent être étudiés en termes d’accès aux marchés publics, de délais de paiement et d’accès à des financements alternatifs.
Important, le capital- investissement n’en demeure pas moins risqué d’où la nécessité de mise à niveau de son cadre réglementaire et fiscal.
Pour Bassim Jaï Hokimi, président d’Atlamed, il faudrait commencer par systématiser autant que possible la clause de préférence nationale qui existe bien dans la loi sur les marchés publics.

- Finances News Hebdo :  Dans l’état actuel des choses, les PME marocaines sont-elles en mesure de relever les défis  face à une économie mondiale globalisée et changeante ? Sont-elles réellement compétitives ?
- Bassim Jaï Hokimi : Nos PME ont le potentiel pour être compétitives dans différents secteurs ou niches où notre pays jouit d’avantages comparatifs reconnus et d’un capital d’expérience, par exemple dans les technologies de l’information et les téléservices, le BTP, l’agroalimentaire, l’industrie automobile et aéronautique, le fast fashion, la logistique et, bientôt, l’économie verte. Sans compter l’industrie et les services de proximité à destination du marché intérieur. 
- F. N. H. : Quel regard portez-vous sur les différentes mesures menées pour accompagner les PME, notamment les actions entreprises par l’ANPME, la CCG… ? Et comment, de ce fait, accélérer le flux comme vous l’avez souligné dans votre intervention ?
- B. J. H. : Des initiatives louables ont été prises pour accompagner l’équipement industriel, la mise à niveau de la gestion et la capitalisation des PME à travers différents outils (Imtyaz, Moussanada, fiscalité, fonds d’investissement publics privés en cours de mise en place…). Il me semble toutefois que d’autres mesures plus déterminantes doivent être étudiées en termes d’accès aux marchés publics, de délais de paiement et d’accès à des financements alternatifs au crédit bancaire comme le capital-investissement. On peut également renforcer les mesures déjà prises dans le sens du soutien à l’innovation et de l’accompagnement à l’export. Une politique encore plus volontaire pourrait impliquer la mise en place de nouvelles structures à l’instar d’OSEO en France (un organisme de financement et d’appui à l’innovation), ou de s’inspirer du modèle américain où le «Small Business Act» définit des conditions particulières pour l’accès aux marchés publics à destination des PME. La «Small Business Administration» aux USA dispose également de prérogatives étendues pour faciliter l’accès au financement bancaire (un peu comme si la CCG adaptait les modalités de recours à ses garanties pour les PME), ou même assurer leur défense juridique dans certains cas. Le rôle des Chambres de commerce est également fondamental pour le développement des PME, notamment à travers la formation professionnelle ainsi que pour  leur rayonnement à l’international.
- F. N. H. : Lors de votre exposé, vous avez évoqué le rôle important que doit jouer le financement alternatif pour accompagner les PME marocaines. Dans ce sens, quelle évaluation faites-vous de l’évolution du capital-investissement qui a atteint près de six milliards de DH en 2010 ?
- B. J. H. : L’évolution de ces dernières années est intéressante et pourrait aboutir à construire, pour le Maroc, un rôle de leader en Afrique dans ce domaine. Nous avons connu l’éclosion de différents fonds, dont certains gérés par des sociétés indépendantes d’institutions financières, ainsi que des exemples probants de réussite d’investissements jusqu’à leur sortie, en Bourse ou par rapprochements industriels. Il faut néanmoins garder à l’esprit que cette activité présente beaucoup de risques et que son cadre réglementaire et fiscal nécessite toujours une mise à niveau pour qu’elle prétende jouer un rôle suffisamment significatif, en tant qu’alternative de financement, et compétitif sur la scène internationale.
- F. N. H. : Comment les PME peuvent-elles profiter des programmes sectoriels menés au Maroc ?
- B. J. H. : Il faut engager avec les différentes confédérations concernées un partenariat public-privé approfondi avec des rendez-vous d’échanges et d’évaluation réguliers, partager la visibilité sur les grands chantiers structurants en cours et associer à chacune d’entre elles un objectif de part de valeur ajoutée qui peut être captée localement par les grandes entreprises locales, puis en sous-traitance ou co-traitance avec les PME. Le plan solaire, qui a déjà annoncé sa volonté de contribuer à dynamiser une filière locale, peut constituer un exemple en la matière, mais il ne faut pas oublier les autres plans, tels que le plan Maroc Numéric qui ne me semble toujours pas saisir suffisamment les opportunités de faire émerger des acteurs locaux capables de leadership régional dans les technologies de l’information. Il faut considérer également les différents programmes d’infrastructure liés au transport, à l’assainissement, au tourisme,etc., ainsi que les projets-clés portés par des entreprises locomotives telles que l’OCP, un remarquable pionnier en matière, de partenariat avec la PME nationale ou, désormais, Renault.
- F. N. H. : Enfin, comment pensez-vous mettre en pratique la proposition d’attribuer une partie des marchés publics exclusivement aux PME ?
- B. J. H. : Il faudrait commencer par systématiser autant que possible la clause de préférence nationale qui existe bien dans la loi sur les marchés publics mais qui, en pratique, n’est jamais appliquée !
On peut ensuite aller plus loin en s’inspirant du Small Business Act américain qui date de 1953 et prévoit de réserver aux PME nationales tout marché public, inférieur à un certain montant ou tout marché  pour lequel un nombre minimum de PME nationales est susceptible d’être valablement candidat. Cette loi prend même en compte la dimension de la sous-traitance réservée aux PME par les grandes entreprises qui remportent les grands marchés.
Un autre exemple est donné par les dispositions européennes, ou françaises, qui ne fixent pas d’obligations chiffrées aussi contraignantes que le SBA américain, mais érigent d’autres principes susceptibles d’améliorer l’accessibilité pour les PME à ces marchés, notamment en termes d’allotissement (comme cela a déjà été expérimenté par le ministère de l’Equipement au Maroc) et de références requises; ce dernier point méritant une attention  particulière, car une sélection implicite très sévère (voire une exclusion) commence par ce biais dès la formulation de l’appel d’offres.
L’essentiel est que l’on amorce un débat rapide sur le sujet pour aboutir à un cadre qui favorise la dynamisation du tissu des PME locales, sans pour autant garantir des rentes protectionnistes. Je pense que cela relève moins d’un processus de revendication patronale que de l’initiative des pouvoirs publics eux-mêmes, ces derniers cherchant logiquement à récolter davantage de fruits économiques, fiscaux  et sociaux de leur effort d’investissement et de politique sectorielle. Si les choses restent en l’état, il ne faudra pas s’étonner de voir les efforts publics d’investissement se traduire plus efficacement en creusement de déficits extérieurs qu’en accélération de la croissance ! 
Il y a aujourd’hui, clairement, un consensus mondial sur le rôle déterminant des PME locales dans la croissance, l’innovation, l’exportation, l’équilibre budgétaire et l’emploi, sans que cela ne se fasse au  détriment des grandes entreprises championnes; bien au contraire, comme le montrent les exemples allemand, sud-coréen ou turc.