27/03/2011

Marchés publics de génie civil: la trop grande place des entreprises étrangères

Lors de la séance de présélection des entreprises qualifiées à participer aux travaux de réalisation des tronçons du TGV entre Tanger et Casablanca, nous avons relevé une présence massive des entreprises étrangères.

En effet, sur 35 entreprises ayant déposé leurs demandes de préqualification, 24 sont étrangères. Ce rapport entre les deux groupes ne doit pas nous laisser indifférents.
En approfondissant la réflexion sur les implications de ce cas, il convient de se pencher d'abord sur la manière dont les entreprises étrangères sont traitées sur le marché européen. Le marché du BTP considéré, à juste titre, comme un formidable levier de croissance et d'emploi, est suivi avec beaucoup d'intérêt, pour ne pas dire protégé.
Comment ça marche en Europe
Dans ce sens, les entreprises non européennes désireuses de participer aux appels d'offres des marchés publics doivent au préalable remplir deux conditions essentielles: créer une société de droit de l'un des pays européens et soumettre un dossier de qualification à l'office de qualification dans chacun de ces pays.
A préciser qu'au-delà de ces deux dispositions, il reste le pouvoir discrétionnaire que détiennent séparément les différents maîtres d'ouvrage chargés de veiller, au cas par cas, à ce que les entreprises locales ne soient ni gênées, ni menacées dans leur existence.
Il apparaît évident, à la lumière de ce dispositif de contrôle, que les chances d'accès aux marchés publics à l'étranger pour les entreprises marocaines demeurent minimes pour ne pas dire inexistantes.
La situation marocaine
Examinons avec sérénité la manière dont se déroulent les choses sur le terrain. Deux catégories d'entreprises sont en présence. La première catégorie comprend:
1) Les entreprises étrangères admises à participer aux appels d'offres des marchés publics ou semi-publics, sans être astreintes aux obligations auxquelles sont soumises leurs homologues marocaines;
2) Les entreprises marocaines qui sont tenues de présenter une attestation de qualification et de classification délivrées par le ministère de l'Equipement. Les sociétés étrangères sont affranchies de cette obligation, remplacée par des références technique et financière en provenance de leur pays d'origine, ou à défaut, par une autorité judiciaire, un notaire ou un organisme professionnel. (Article 23 du décret de passation de marchés (décret n°206-338 du 05 février 2007).
Ce traitement différencié lors de la séance de préqualification ouvre la porte à des erreurs d'appréciation, voire d'injustice tant envers les concurrents locaux qu'envers l'économie nationale, et dont les conséquences finissent par remonter à la surface, lors du déroulement des travaux.
Le tableau ci-contre illustre parfaitement les erreurs découlant de la politique menée dans l'octroi de certains marchés publics aux entreprises étrangères.
Ce tableau retrace l'historique des différents marchés adjugés entre 2003 et 2011. Il en ressort que sur 37 marchés d'autoroute, 22 sont octroyés aux entreprises étrangères, alors que 15 seulement sont réservés aux entreprises nationales. Bien plus, sur les 22 marchés ou tronçons d'autoroute réservés aux sociétés étrangères, 7 ont connu des difficultés dans l'exécution pour aboutir à des résiliations pures et simples alors que les lots relevant de l'entreprise marocaine n'ont connu aucune difficulté majeure.
La seconde catégorie d'entreprises comprend une multitude de petites et moyennes entreprises, travaillant dans un cadre complètement hybride, dans la mesure où certaines d'entre elles sont rentrées au Maroc en tant que touristes pour finir avec un contrat de construction avec un promoteur privé. Nous avons tous vu défiler un certain nombre d'entre elles, offrant des services dans les travaux de plâtre, de carrelage ou autres disciplines.Il y a manifestement un vide juridique flagrant, qui a permis l'émergence d'un désordre où l'entreprise marocaine se trouve lourdement pénalisée par rapport aux concurrents étrangers.
A cet égard, on ne saurait passer sous silence le rendez-vous manqué par le ministère de l'Equipement pour inciter les entreprises marocaines à être élevées au rang des entreprises internationales auxquelles elles n'ont certainement rien à envier.
Un vide qui pénalise
Avant de formuler 2 ou 3 mesures à même de soumettre l'ensemble des concurrents aux mêmes règles et disciplines, je voudrais préciser qu'en tant que libéral, je ne peux que souscrire à la politique d'ouverture et d'intégration à l'économie internationale; encore faut-il que cette politique obéisse à respecter les règles d'équité, de réciprocité et de transparence. L'entreprise marocaine n'est ni génétiquement incompétente ni frileuse, elle est plutôt victime d'une politique de dénigrement gratuite et non fondée. Son offre a été souvent écartée, ayant été jugée plus chère de 3 à 5% par rapport à l'offre du concurrent étranger. C'est une position regrettable, car elle procède d'une vision plutôt comptable qu'économique. Cette politique n'a
pas pris en compte la nécessité de faire émerger de grands groupes marocains. En définitive, le gouvernement marocain est appelé à mettre en place des mesures à même de créer des conditions de développement et d'épanouissement de l'entreprise marocaine dans un monde où chaque pays recourt sans état d'âme à toutes sortes de panoplies d'encouragement à ses entreprises. Il y va des intérêts vitaux de l'économie nationale et de l'emploi.
Quatre mesures pour résoudre le problème. 
Au moment où nous parlons du statut avancé pour le Maroc par rapport à l'Europe, ne doit-on pas plutôt parler d'une position avancée de l'Europe vers le Maroc dans un seul sens.
Aussi il convient d'organiser à travers des textes juridiques la présence et l'activité des entreprises étrangères dans les formes et conditions suivantes.
1- Toute activité sur le territoire marocain devra faire l'objet de la création d'une société de droit marocain;
2- Une demande préalable est à formuler auprès d'un organisme paritaire composé de professionnels du BTP et des ministères concernés à même de statuer sur l'opportunité de l'intervention de telle ou telle entreprise.
3- Les entreprises étrangères doivent, au même titre que leurs homologues marocaines, disposer d'un certificat de qualification et de classification.
4- Ces entreprises doivent également présenter un quitus tant fiscal que social émanant des organismes officiels de leur pays d'origine. Ces conditions sont celles exigées partout dans le monde. Elles ont l'avantage d'apporter une certaine assurance temporaire sur la santé et la fiabilité de l'entreprise, comme elles inscrivent leurs actions dans la permanence et la pérennité.