07/05/2020

INTERVIEW : La préférence nationale est le minimum de la dose économique du remède contre la crise

 

L’Etat est le premier investisseur au Maroc et, de ce fait, les marchés publics représentent un grand moteur de l’économie nationale. Sérieux levier de croissance pour les entreprises marocaines, ces dernières sont-elles privilégiées auprès de ce gros client qu’est l’Etat
qui injecte quelque 200 milliards de DH/an dans l’économie nationale, soit 19% du PIB ? Pour Hicham Ettezguini, auteur de l’ouvrage «Guide des marchés publics », la préférence nationale n’est plus une option dans les marchés publics. Elle devient impérative depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2-19-69 du 24 mai 2019.

1-Il y quatre mois en vigueur entrait en vigueur le décret n° 2-19-69 du 24 mai 2019, modifiant et complétant celui n° 2-12-349 du 20 mars 2013 relatif aux marchés publics. Quel changement ce nouveau texte a-t-il apporté pour la préférence nationale ?

Certes, l’article premier du décret n° 2-19-69 apporte des modifications à certaines dispositions du décret n° 2-12-349. Parmi ces changements, je cite l’article 155 relatif à la préférence en faveur de l’entreprise nationale, objet de votre question. D’après la nouvelle version de cet article, les entreprises nationales soumissionnaires bénéficient d’une préférence applicable au stade de comparaison de leurs offres financières avec celles des soumissionnaires étrangers. En outre, ce nouveau décret étend le régime de la préférence aux coopératives, unions de coopératives et à l’auto-entrepreneur. A titre de précision, le décret n° 2-19-69 est entré en vigueur le 3 juin 2019, date de sa publication dans l’édition générale arabophone du Bulletin Officiel n° 6783.

2- Les entreprises marocaines se plaignaient du fait que la préférence nationale n’était pas considérée comme une impérative dans l’ancien texte. Est-elle précisée cette fois-ci explicitement dans le nouveau texte ?

Bien sûr. Le premier paragraphe de l’article 155 précité stipule que « (...) une préférence est accordée aux offres présentées par les entreprises nationales, les coopératives, les unions de coopératives et l’auto-entrepreneur ». Par contre, dans l’ancienne version, on lit qu’une préférence « peut être » accordée aux offres présentées par les entreprises nationales. La préférence devient en conséquence un droit. Au lieu de se plaindre de son caractère facultatif, les sociétés nationales sont en position de réclamer son application tous simplement.

3- Avec l’entrée en vigueur du décret n° 2-19-69 du 24 mai 2019, comment fonctionne le mécanisme de la préférence nationale ?

En principe, les dossiers des appels à la concurrence relatifs aux marchés de travaux et études y afférentes doivent contenir une disposition qui encadre la préférence nationale dans la limite réglementaire de 15%. Ensuite, la commission d'appel d'offres ou le jury de concours applique le taux de préférence, prévu dans le règlement de consultation, aux offres admissibles présentées par les entreprises étrangères. Elle poursuit enfin ses travaux pour identifier le soumissionnaire ayant présenté l’offre la plus avantageuse.

Comme vous le constatez, la préférence se traduit par une augmentation artificielle du montant de l’offre de toute entreprise étrangère ; chose qui augmente la chance de l’entreprise nationale de remporter le marché.

4- Cette disposition sur la préférence nationale est-elle bien appliquée sur le terrain ?

Difficile de répondre avec précision à cette question. Seul un observatoire dédié à la commande publique peut examiner pareil sujet. Par contre, je souligne une expérience du département de l’équipement et du transport en guise d’exemple à suivre. En 2012, ce ministère a publié une circulaire généralisant l’application de la préférence nationale pour ses marchés, et ce, à un moment où la préférence est encore optionnelle. Actuellement, la préférence devient impérative et s’impose par la force de la règlementation. Les maîtres d’ouvrages doivent être attentifs à cette disposition pour éviter le risque d’annulation de la procédure de passation concernée.

5- Avec la crise économique causée par le coronavirus, pensez-vous que cette donne va favoriser davantage la préférence nationale ? 

La pandémie de Covide19 infecte les personnes et affecte par effet du domino la quasi-totalité des secteurs économiques y compris la commande publique. La préférence nationale n’est qu’une solution parmi d’autres. D’ailleurs, le ministère de l’économie et des finances a pris des mesures de nature à fluidifier les activités critiques du cycle des achats publics et à réinjecter rapidement les deniers publics dans le circuit économique. Une façon de générer des flux de trésoreries nécessaires à la pérennité des entreprises et des emplois. Il est inconcevable de laisser les fruits de cet effort national exceptionnel s’évaporer pour alimenter les comptes des entreprises sous d’autres cieux. La préférence est le minimum de la dose économique du remède.