Pages

02/02/2019

Le partenariat public-privé au Sénégal : le piège de la séduction (par Mohamed Dia)


Cette croyance selon laquelle les investissements publics dans les infrastructures telles que les routes, les autoroutes, est un moteur indispensable de la croissance économique a toujours fortement influencé la décision des leaders dans les pays en voie de développement.
Selon des études faites, ce type de modèle de croissance qui repose sur l’investissement public est lent et démodé. Certains économistes ont plutôt conseillé de minimiser l’importance du secteur public, et des infrastructures en donnant la priorité au capital humain et aux reformes et surtout la bonne gouvernance. Le Sénégal s’est lancé dans la construction d’infrastructures sous forme de partenariats public-privé qui n’est autre qu’un mode de financement fait par des prestataires privés qui en retour gère l’infrastructure. Le montage financier est fait de sorte que les dépenses ne sont pas comptabilisées dans le budget car étant des dépenses de fonctionnement au lieu de dépenses d’investissement. Le paiement se fera soit sous forme de loyer ou des recettes tirées de l’exploitation de l’infrastructure. Ce mode de financement a certes des avantages, mais aussi des inconvénients très désastreux.
Espace publicitaire : Avez-vous besoin d’une formation ou conseil en marchés publics, veuillez prendre directement contact avec un consultant du Centre des Marchés Publics par téléphone au +212 666 716 600 ou par email
Le partenariat public-privé au Sénégal
Le Plan Sénégal Émergent du président Sall est un plan de développement qui a été mis en place pour une éventuelle émergence à l’horizon 2035. Le montant à travers les partenariats public-privé représente 15 % du PSE, soit 1574 milliards Francs CFA. Ce mode de financement verra le jour au Sénégal en 1996 avec la SDE pour l’exploitation de l’eau potable au Sénégal pour une durée initiale de 10 ans qui a été prorogé à plusieurs reprises. Dans le secteur ferroviaire, nous verrons la mise sous concession de la fameuse ligne de Dakar-Bamako qui est géré par Transrail S.A. L’autoroute Dakar- Diamniadio a aussi était mise sous concession avec le géant Français Eiffage sous le président Wade avant une nouvelle signature sous le président Sall pour le prolongement jusqu’à Diass. Dubai Port World est concessionnaire pour 25 ans du terminal des conteneurs au Port Autonome de Dakar. L’aéroport international Blaise Diagne était d’abord sous une concession avec Saudi Binladin Group avant de se retirer en 2016 pour être remplacé par Suma et Limak en 2016. Le terminal vraquier du Port Autonome de Dakar est sous une concession avec Necontrans pour 25 ans depuis 2014. Bolloré gère le terminal routier du Port Autonome de Dakar pour 25 ans depuis 2013. Nous pouvons aussi citer la construction du Tramway à Dakar, du développement de corridors céréaliers, des résidences universitaires, le projet de relance sur le fer-Falémé, l’usine de dessalement de l’eau de mer et Dakar Medical City entre autres. La liste n’est pas exhaustive, mais pour montrer qu’il y a un grand manque à gagner dans presque tous les secteurs nous poussant à faire appel à ce mode de financement. Ayant la possibilité d’alléger les contraintes budgétaires, ce mode de financement est très utilisé par bons nombres de pays dans le monde. Ce qu’il faut retenir est que ce mode de financement a plusieurs insuffisances et peu d’avantages. La facilite de financement pousse les Etats à faire recours à ce mode de financement, mais c’est un facilité très dangereuse, car il n’y a pas de concurrence équitable entre les partenariats public-privé et les procédures traditionnelles. Le plus grand danger est que ce mode de financement présente toujours une surévaluation des prévisions d’emploi de ces infrastructures, ce qui à son tour augmente le coût. C’est pour cela au Sénégal, nous entendons souvent dire que le montant par kilomètre de telle autoroute est très élevé ou que le tarif du péage est élevé. Au Royaume-Uni par exemple, près de 700 partenariats public-privé ont été signés pour créer de nouvelles infrastructures sans donner l’impression qu’ils s’endettaient. Les PPP ont vu le jour au Royaume-Uni et ils ont renoncé à ce mode de financement car le jugeant trop cher. Selon le site de Teller report, le remplacement d’un composant a coûté au total 8 154 £. À l’école voisine, un robinet est revenu à £ 2 211. Une troisième installation a payé £ 2 024 pour un évier. S’il y a un surcoût au Royaume-Uni, ne pensez-vous pas qu’il y aura un surcoût au Sénégal ?

Le piège de la séduction
Nous constatons le recours à des partenariats public-privé pour la construction d’infrastructures dans le monde et notamment en Afrique. Quand un gouvernement est à court d’argent, ce mécanisme de financement est devenu de plus en plus populaire. Pour un pays comme la Chine, l’infrastructure a été un élément clé dans leur développement, car elle grandissait et elle a finalement été génératrice de revenus pour payer la dette. Par contre, pour l’Espagne, cela n’a pas été un succès. L’Espagne a construit des autoroutes que personne n’utilise, des aéroports qui ne sont pas du tout utilisés. Conséquemment, les recettes fiscales pour rembourser les dettes n’étaient pas disponibles. La raison principale pour laquelle les gouvernements font appel à un partenariat public-privé est le manque de ressources pour la construction d’infrastructures. Par exemple, le Sénégal a fait appel à ce partenariat public-privé pour la construction de l’autoroute Ila Touba. Pour un pays comme la Chine, l’infrastructure a été un élément clé dans leur développement, car elle grandissait et elle a finalement été génératrice de revenus pour payer la dette. En échange, le Sénégal leur a donné le droit d’exploiter l’autoroute et d’en tirer des revenus. La question est alors de savoir si les revenus ne sont pas affichés, qui paie la facture ? Le gouvernement, bien évidemment, sera responsable de la facture. Il y a eu des pays en Europe qui avaient recours au partenariat public-privé pour la construction de chemins de fer ; quand les revenues n’ont pas suivi, ces pays ont eu du mal à rembourser la dette et ils ont dû renégocier les contrats et dans certains cas, ils ont simplement fait défaut. En principe, avant de commencer la construction, une compensation est demandée au départ pour amortir les risques. Le gouvernement peut par contre de son propre argent ériger une infrastructure sans se soucier des avantages économiques. Dans le cas de la construction de l’autoroute Ila Touba, la Chine ne s’est pas souciée de savoir si elle allait tirer profit de ce projet à cause du grand risque. À titre d’exemple, nous analyserons le cas du Sri Lanka. Chaque fois que le président du Sri Lanka demandait aux Chinois de lui prêter de l’argent dans le cadre d’un ambitieux projet portuaire, la réponse était favorable. Malgré que des études de faisabilité aient indiqué le non-fonctionnement du port, malgré le refus des prêteurs fréquent comme l’Inde, malgré la dette galopante du pays, la Chine a répondu favorablement. Quelques années plus tard, le projet de développement du port de Hambantota a été un échec comme prévu malgré qu’elle soit sur l’une des voies de navigation les plus fréquentées au monde. En 2012, le port n’a attiré qu’une trentaine de navires. Le gouvernement du Sri Lanka a eu du mal à rembourser la dette contractée. Après des mois de négociations, le gouvernement a cédé le port avec 15 000 acres de terre à la Chine pour 99 ans. Quand le Sénégal a fait recours à la Chine pour la construction de son autoroute Ila Touba, une étude sérieuse n’a pas été faite, car la Chine se fera rembourser d’une manière ou d’une autre. L’exemple du Sri Lanka nous montre que la Chine avait ses yeux sur ce port, car elle est à une position stratégique le long d’une voie navigable commerciale et militaire très cruciale. Cela nous montre aussi l’utilisation des prêts et aides chinois pour gagner de l’influence dans le monde entier. Ce que nous devons faire en tant que nation responsable, c’est nous demander est ce que cet investissement est sensé ou nous en sommes et le sera-t-il dans les prochaines années à venir ? Il faut dans tous les cas éviter ce que j’appellerai l’argument de la jalousie, qui est l’argument qui a commencé la crise immobilière aux Etats Unis. Chacun voulait une maison aussi belle ou aussi grande que la maison de son ami, parent ou voisin au lieu de se demander si le besoin était présent.
Certes, il y a des gaps dans tous les secteurs et les gouvernements font face à une pression pour trouver des solutions rapides aux problèmes de financement des infrastructures, mais il ne faut pas s’empresser de signer ces contrats. Ce mode de financement n’est pas assujetti aux consultations publiques, et les surfacturations pour des dessous-de-table sont très fréquentes. Il est temps de reprendre notre pays en recourant au financement public pour réaliser nos investissements. Il nous suffit de sérieusement changer certaines politiques pour pouvoir le faire. Nous pouvons diminuer les exonérations fiscales, formaliser le secteur informel et sans oublier l’éradication de la corruption. En créant des industries et des emplois, l’Etat peut aussi opter pour un financement direct via l’impôt. Ne nous tournons toujours pas vers ce mode de financement car il est facile. Sartre disait que « La facilité, c’est le talent qui se retourne contre nous ».