19/09/2012

Comment l'Etat veut métamorphoser le BTP

La stratégie pour le secteur du BTP va enfin voir le jour. Le ministère de l’équipement et des transports, la Fédération nationale du BTP (FNBTP) et la Fédération marocaine du conseil et de l’ingénierie (FMCI) ont mandaté le cabinet Valyans pour plancher sur la question. Les parties prenantes sont pour l’heure peu enclines à communiquer plus de détails sur ce projet. Néanmoins, La Vie éco a pu consulter des documents retraçant tout le travail accompli jusqu’à présent. Il en ressort que la démarche est très bien avancée puisque les contours de la future stratégie ont déjà été déterminés.

L’objectif majeur de la nouvelle feuille de route du secteur dont on a commencé à parler il y a 4 ans est de porter sa valeur ajoutée d’un peu moins de 55 milliards de DH par an actuellement à plus de 93 milliards de DH à l’horizon 2020, soit une progression de 69%. Pour y parvenir, la future stratégie consiste à œuvrer sur deux grands axes : la mise à niveau du secteur d’une part et l’encouragement de l’excellence et du rayonnement à l’international de ses entreprises, d’autre part. Pour généralistes qu’elles puissent paraître, ces deux grandes orientations sont néanmoins détaillées sous forme de nombreuses mesures précises à dérouler sur les prochaines années. 

Pour le premier volet de la mise à niveau du secteur, les initiateurs de la feuille de route ont arrêté huit dossiers stratégiques (voir encadré ci-contre). L’on s’en doute, ce sont les mesures prévues pour améliorer le système très critiqué des marchés publics qui devraient capter en priorité l’attention des professionnels. Sur ce plan, il est prévu sans surprise une plus grande implication des entreprises nationales et spécifiquement des PME/TPE. Comment ? Une grande partie de la solution proviendra certainement du nouveau décret sur les marchés publics introduit récemment dans le circuit d’adoption, et qui prévoit, entre autres, de réserver 20% de la commande publique aux PME (voir notre édition du 6 juillet 2012). Mais la nouvelle stratégie creuse davantage le sillon, puisque l’on apprend que le ministère de l’équipement étudie l’opportunité d’introduire les appels d’offres nationaux, en s’inspirant notamment des modèles tunisiens et algériens (voir encadré en page ci-contre). La nouvelle feuille de route prévoit également une refonte des systèmes de qualification et de classification des entreprises. «Les professions liées à l’activité de BTP restent peu règlementées et encadrées dans le secteur privé, ce qui entraîne des litiges et impacte la réalisation des projets», justifient à ce titre les consultants de Valyans.

Gestion dématérialisée des marchés publics

La future stratégie table aussi sur l’encouragement et l’amélioration du transfert de compétences entre entreprises étrangères et marocaines. En effet, en l’état actuel des choses «même si les entreprises marocaines démontrent une expertise avérée, les entités étrangères continuent d’être bien positionnées sur certains marchés, causant un manque à gagner en termes de chiffre d’affaires et d’acquisition d’expertise», argumente-t-on.

Tout cela devrait profiter directement à l’efficience de l’achat public en matière de BTP mais le propos de la nouvelle stratégie est aussi d’en améliorer la transparence, ce qui devrait se traduire par la mise en place à terme d’un programme de lutte contre l’opacité dans les marchés publics.

La future feuille de route veillera également à traiter la problématique des processus de l’administration. Le diagnostic dressé en la matière laisse apparaître, comme l’on pourrait s’y attendre, plusieurs dysfonctionnements à différentes étapes du cycle d’un projet du fait de la lourdeur du processus de passation des marchés et de la réception des ouvrages. La solution apportée par la nouvelle stratégie consistera principalement à mettre en place un système d’information permettant une gestion dématérialisée des marchés publics.

Toutes ces mesures qui relèvent de la responsabilité publique sont accompagnées d’actions à entreprendre par les entreprises elles-mêmes. Celles-ci sont appelées à gagner en compétitivité. Cette nécessité part du constat que la majorité des entreprises de BTP et d’ingénierie présente un manque d’organisation manifeste. A cela s’ajoute un problème de sous-capitalisation qui est devenu structurel : 68% des entreprises de BTP et 86% des entreprises d’ingénierie ont un capital inférieur à 1 MDH et font face à des difficultés de trésorerie, selon des éléments de diagnostic dressés par Valyans. Tout cela sans compter le faible niveau technique de ces entités. En réponse, il sera introduit un nouveau programme de soutien à la modernisation des entreprises de BTP. L’idée est également de mettre en place des mécanismes pour élargir les sources de financement bancaires du secteur et pour attirer les investisseurs institutionnels et privés. L’accent est également mis sur une plus large diffusion des outils informatiques auprès des professionnels pour une gestion plus rationnelle des projets et une réduction du coût des chantiers. Il est aussi question de favoriser la diffusion de nouveaux matériaux et procédés de construction, notamment la préfabrication.

L’informel sera mieux combattu

La nouvelle stratégie vise en même temps à favoriser l’émergence d’entreprises plus citoyennes. Et il faut dire que beaucoup reste à faire sur ce plan : 14% du chiffre d’affaires du secteur, soit 15 milliards de DH, relève de l’informel. On dénombre aussi 84 000 unités de production informelles, soit 86% des entreprises du secteur. Cela sans compter la sous-déclaration pratiquée par les entreprises formelles… Autant de viviers de concurrence déloyale et de pertes fiscales. Les solutions proposées par la nouvelle stratégie consistent d’abord à renforcer les mécanismes de sanction et de contrôle. L’idée est également de développer un régime social complet pour le secteur du BTP et ce dans le but précis d’augmenter le taux de couverture CNSS des employés du secteur à 54% contre 36% actuellement.
D’autres nouveautés intéressantes apportées pour mettre à niveau le secteur portent sur la mise en place d’une entité en charge de la veille concurrentielle et de la diffusion de données sur la filière ou encore l’introduction d’un plan de promotion des métiers du BTP (2/3 des employés du secteur ne bénéficient d’aucune formation). L’idée est aussi de renforcer la représentativité ainsi que les moyens des associations professionnelles du secteur.

La seconde grande orientation touchant à l’encouragement de l’excellence et du rayonnement à l’international des entreprises de BTP porte sur 5 principaux dossiers. L’idée est d’abord de favoriser l’émergence de champions nationaux. «Les grandes entreprises marocaines de BTP et d’ingénierie sont en nombre insuffisant et connaissent une saturation de leur capacité de production», constatent les experts de Valyans. En tout, on ne dénombre que 9 entreprises de BTP ayant un chiffre d’affaires de plus de 600 MDH, et seulement 3 entreprises d’ingénierie dont l’activité dépasse 100 MDH. A cet effet, la nouvelle stratégie se déclinera par la mise en place d’un programme d’émergence de champions nationaux.

Ensuite, l’ambition est de renforcer la vocation exportatrice des entreprises nationales, surtout qu’elles jouissent d’une expertise prouvée dans certains domaines, notamment le logement social, les routes ainsi que l’hydraulique, selon le diagnostic de Valyans. Pour sûr, les débouchés à l’étranger ne manquent pas. Pour ne citer que l’exemple des marchés africains, ces derniers affichent l’un des plus forts taux de croissance au monde de la valeur ajoutée du BTP sur la période 2005 à 2010 (+16,1%). Les retombées de ces ouvertures commerciales seraient bienvenues pour ralentir la dégradation de la balance commerciale. A ce titre, la nouvelle stratégie chiffre l’objectif à atteindre à terme à 1,2% de chiffre d’affaires réalisé à l’export pour tout le secteur, soit 2,5 milliards de DH par an. Pour y parvenir, la future feuille de route donnera lieu à un plan d’export BTP sur un ensemble de marchés cibles accompagné d’un renforcement de la couverture et des garanties à l’export pour les entreprises du secteur.

Et pour motiver les entreprises à progresser vers une taille critique, voire à s’exporter, la nouvelle stratégie prévoit la mise en place de certains leviers. L’idée, d’une part, est de compléter le système de normalisation et d’accompagner son adoption par les entreprises, car, à l’heure actuelle, peu de normes sont obligatoires. Et, d’autre part, il est question de valoriser l’innovation dans le secteur en favorisant le recours à la recherche et développement ou encore par la création d’un pôle d’excellence BTP.

D’autres aspects traités concernent l’encouragement du partenariat public-privé au sein du secteur avec notamment la mise en place d’un centre dédié à la promotion et à l’accompagnement de ce type de collaboration. La promotion du respect de l’environnement, enfin, n’est pas en reste, à savoir qu’il est question de développer un programme national d’éco-construction ou encore de mettre en place un plan de gestion des déchets de chantier.

Dans les prochaines semaines, toutes ces orientations feront l’objet d’une syndication auprès des différentes parties prenantes, puis elles donneront lieu à un contrat-programme et une feuille de route définitive.