26/07/2012

La performance des achats publis : A quel prix?

Estimés à 60 milliards de DH, soit environ 15 % du PIB marocain, les achats publics sont considérés comme un levier important pour le développement économique et social du pays.
Cependant, malgré le poids économique de la commande publique (administrations de l’Etat, établissements publics et collectivités locales), les résultats escomptés, en termes notamment de renforcement des infrastructures de base et d’amélioration des conditions de vie des citoyens, tardent à être réalisés. En témoignent en tout cas les multiples rapports, études et enquêtes qui font l’écho de la recrudescence des taux de chômage et de pauvreté au Maroc.

Particulièrement révélateur, le dernier rapport mondial sur le développement humain 2007/2008, élaboré par le PNUD a fait état de la régression du Maroc dans le classement de l’IDH (Indice de Développement Humain) et ce, malgré deux années de mise en œuvre de l’Initiative Nationale pour le Développement Humain.
Aussi, n’est-il pas légitime de s’interroger sur la performance de l’action publique, notamment sur un aspect palpable comme les achats publics, au vu de ces résultats, qui sont globalement en deçà des objectifs assignés et surtout des attentes d’un pays soucieux d’exploiter les marges de progrès qui sont les siennes ?
Ce questionnement est d’autant plus légitime au vu de la raréfaction des ressources financières publiques, qui appellent leur meilleure réallocation pour satisfaire des populations de plus en plus exigeantes en terme de qualité de vie (accessibilités aux infrastructures de base et aux services publics et amélioration des pouvoirs d’achat).
Les exigences de reddition des comptes auxquelles devraient être soumis les gestionnaires publics, dans un Maroc en transition démocratique, président également à cet intérêt particulier accordé à la performance des dépenses publiques et plus particulièrement des achats publics.

I. La performance publique : tendance lourde et un engagement irréversible
A juste titre, on observe que cette notion de performance publique est une tendance lourde. Elle a émergé depuis plus d’un quart de siècle dans des pays anglophones et scandinaves avant de regagner d’autres pays soucieux de réformer leurs secteurs publics. Marqués par un contexte de déséquilibres budgétaire et économique, une évolution des attentes des citoyens et une crise de confiance entre ces derniers et l’Etat, les objectifs poursuivis par ces pays étaient clairs : une efficience, une qualité et une plus grande transparence du service public. Les schémas adoptés sont récurrents : une composante budgétaire liée à la mesure des résultats, une réflexion sur le périmètre d’action de l’Etat (ce qu’il convient de déléguer ou de gérer directement) et l’incursion du citoyen dans les modes de fonctionnement interne de l’administration.
Le Maroc n’échappe pas à cette règle. Sa stratégie de réforme de l’administration publique s’articule autour de trois axes : efficacité dans la gestion des ressources budgétaires, efficacité dans la gestion des ressources humaines et maîtrise de la masse salariale. Elle inscrit désormais l’action publique dans une logique de performance : budgétisation par programmes, évaluation de l’exécution du budget à travers des indicateurs de performance, programmation budgétaire (CDMT), contractualisation des objectifs et des moyens entre l’administration centrale et les services déconcentrés, contrôle modulé de la dépense, référentiels des emplois et compétences, opération de départ anticipé à la retraite, etc.

Tous ces chantiers de réforme qui ont été ouverts par l’administration marocaine s’articulent autour d’une logique de résultat et sont interdépendants. La question de performance des achats publics se trouve au carrefour de ces chantiers et constitue une composante essentielle de la performance des finances publiques.

II. La performance de l’achat public versus conformité réglementaire
Si l’exigence de performance des achats publics paraît un corollaire incontournable de la réforme des finances publiques, il n’en demeure pas moins que les voies pour y arriver restent à inventer.
En effet, la pratique des achats publics au Maroc demeure encore dominée par une logique de sécurisation juridique : un cadre réglementaire à caractère procédural et une multiplicité des contrôles.
On peut comprendre aisément cette logique de sécurisation si on tient compte des enjeux économiques, politiques et moraux de l’achat public. Certains secteurs économiques réalisent, en effet, l’essentiel de leurs chiffres d’affaire grâce à ces achats : 70 % pour le secteur des bâtiments et travaux publics et 80 % pour celui de l’ingénierie. Ces achats doivent donc contribuer à l’entretien d’un système économique dynamique de libre concurrence. Les deniers publics doivent aussi être préservés de toute forme de corruption, d’enrichissement personnel ou de détournement à des fins auxquels ils n’étaient pas prédestinés.

Pour tenir compte de ces enjeux, la réglementation des achats publics mise sur trois principes : le libre accès de toutes les entreprises à la commande publique, l’égal traitement des concurrents et la transparence dans les choix de l’administration. Le formalisme et les pratiques qu’impose cette réglementation à l’acheteur public visent à ce que ce dernier mette effectivement en oeuvre ces trois principes lors de ses opérations d’achat.
En outre, tous les achats sont soumis à des contrôles. Ils forment un système de contrôle complexe, a priori et a posteriori, où interviennent un grand nombre d’instances : Cours de Comptes, Cours des Comptes Régionales, Inspection Générale des Finances, contrôle des engagements des dépenses, Inspections Générales des Ministères, contrôle du comptable, contrôle hiérarchique (autorité d’approbation), etc.
Compte tenu, donc, de la complexité et de la sévérité du cadre réglementaire régissant l’achat public, on peut difficilement imaginer que l’acheteur ne soit pas soucieux de sa protection juridique. Par ailleurs, si la nouvelle réglementation des marchés de l’Etat insiste beaucoup sur le renforcement de la mise en application des principes généraux régissant la commande publique, elle demeure toutefois moins prolixe s’agissant des moyens et outils à mettre en œuvre pour garantir la performance des achats publics. Des parties prenantes dans le processus de l’achat public (gestionnaires, contrôleurs et fournisseurs) iraient même jusqu’à soupçonner des contraintes que pourrait apporter cette nouvelle réglementation jugée très tatillonne sur des aspects procéduraux du processus d’achat (tirage au sort de deux membres de la commission d’appel d’offres, jugement des offres anormalement basses ou excessives, foisonnement des sous-commissions, etc.).

Peut-on considérer pour autant que la réglementation régissant les achats publics soit antinomique aux exigences de performance ? Ne serait-elle pas plutôt un alibi pour se dispenser
des efforts et des mutations que supposerait la prise en compte des objectifs d’efficience, de qualité et de reddition des comptes ?
Sans préjuger des réponses à apporter à ces questionnements, nous pourrons, toutefois, affirmer que la performance des achats publics est possible si le gestionnaire public actionne la
dimension managériale de sa responsabilité.
Incidence du souci de la conformité réglementaire sur la performance des achats : trois scénarii


III. La performance de l’achat public est possible
La réglementation actuelle des marchés de l’Etat, reprise par les collectivités locales et la majorité des établissements publics, n’est pas totalement déconnectée du souci d’efficience et d’efficacité, comme le laisseraient entendre la prédominance de la sécurité juridique dans les opérations d’achat public. Elle offre, au contraire, une marge de manoeuvre non négligeable à l’acheteur. A titre d’exemple, la définition des besoins ou encore le choix de la procédure de passation au dessous d’un certain seuil (appel d’offres ou bon de commande) font partie du champ d’autonomie de l’acheteur public. Laquelle autonomie est appelée à croître avec la modulation des contrôles prévue pour ces achats.
De même, l’introduction du principe de dématérialisation dans la nouvelle réglementation des achats de l’Etat est l’expression forte d’une volonté d’efficience, à plus grande échelle, du processus d’achat.

En fait, l’application saine de cette réglementation permet indéniablement d’assurer un certain niveau de performance. Il ne peut en être autrement, puisqu’elle repose sur des principes forts de concurrence et de transparence qui ne sauraient induire une non-performance. Néanmoins, on peut affirmer que cette dernière peut être « dopée » et atteindre des niveaux élevés par un meilleur management de la fonction achat sans changer le cadre réglementaire. Cela dépend avant tout de l’importance accordée par les gestionnaires à cette fonction dans leurs administrations. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre connaissance des expériences de certains établissements publics marocains pionniers en la matière qui, tout en se conformant à la réglementation applicable aux achats de l’Etat et en se soumettant à des contrôle similaires (donc à risque juridique égal), ont réussi à créer des modèles originaux de management de leur fonction achat.

A titre d’exemple, sur le plan organisationnel, on peut citer la création de structures dédiées à l’achat qui reposent sur les principes de séparation des fonctions prescripteur et acheteur et la spécialisation de ces derniers, ou encore l’utilisation de fonctionnalités modernes telles que la veille fournisseur, la veille réglementaire et la normalisation des procédures, la contractualisation des moyens et des objectifs, la déconcentration des achats, etc.

Sur le plan du processus, on peut citer le développement de mécanismes de contrôle interne, l’usage d’indicateurs de performance et d’outils de maîtrise des besoins, l’instauration de délais intermédiaires et de procédures spécifiques en cas d’urgence, etc.
Ces modèles de management de la fonction achat constituent une source d’inspiration pour l’administration de l’Etat qui, insufflée de l’esprit de performance, cherche à se réorganiser et à se doter des meilleures pratiques en la matière. C’est un complément précieux à la dynamique de concertation et d’échange lancée, fin 2007, dans le cadre du Forum de la Performance, structure interministérielle qui se veut promotrice de la culture de performance dans les administrations de l’Etat.

IV. La mutualisation des bonnes pratiques : le premier pas vers la performance
En somme, réorienter l’achat public vers l’efficience (réduction des coûts), l’efficacité (satisfaction des besoins des bénéficiaires) et la reddition des comptes (indicateurs de performance) est une nécessité induite par l’exigence de performance des finances publiques. Elle s’inscrit dans une dynamique globale de performance constatée au niveau international et reprise dans les réformes engagées au Maroc ces dernières années. Le souci de conformité réglementaire inhérent à la pratique de l’achat public ne saurait être préjudiciable à sa performance comme le laisseraient entendre certaines analyses. Rehausser le niveau de performance de l’achat est à chercher non plus dans la réglementation, garante d’une situation d’équilibre entre les intérêts de l’administration et ceux du secteur privé, mais dans les capacités managériales des gestionnaires publics.
Des modèles d’organisation et de maîtrise du processus d’achat ont fait leurs preuves dans certains établissements publics et probablement dans certains départements ministériels marocains. Un effort de mutualisation des bonnes pratiques entre les organismes publics semble être le court chemin vers l’appropriation des méthodes et outils de la performance des achats.

Par la suite, une réflexion plus structurante pourrait être conduite, à un niveau interministériel, si la culture de performance atteint un certain niveau de maturité dans l’administration publique.