26/04/2012

Pas d’indemnisation systématique pour les candidats irrégulièrement évincés d’un marché public

Dans un arrêt du 15 mars 2012, la cour administrative d’appel (CAA) de Bordeaux rappelle qu’un candidat irrégulièrement évincé ne peut prétendre à une indemnisation de son manque à gagner que s’il avait une chance sérieuse d’emporter le marché. En l’espèce, l’entreprise F, candidate à un marché public de transport de personnes par bateaux, estime que la régie des transports communautaires rochelais l’a écartée de façon irrégulière. Elle demande des indemnités. La question pour les juges est de savoir d’une part si l’éviction est entachée d’irrégularité, et d’autre part si la société avait des chances sérieuses d’être attributaire.

Une indemnisation soumise à des conditions strictes

Pour déterminer si l’éviction est irrégulière, le juge, s’appuyant sur les dispositions de l’article 53 du Code des marchés publics, examine si l’offre de la société retenue est complète. En effet, le pouvoir adjudicateur doit notamment vérifier si les candidats au marché justifient, lors du dépôt de leur offre, qu’ils ont entrepris les démarches suffisantes pour « disposer effectivement du matériel nécessaire au commencement de l’exécution du marché » (cf. CE, 12 janvier 2011, req. n°343324 - ici). Selon la CAA de Bordeaux, la société I (attributaire du marché) ne disposait pas du matériel nécessaire. De ce fait, son offre, incomplète, aurait dû être rejetée. L’entreprise F a donc bien été irrégulièrement évincée de la procédure d’attribution du marché. Mérite-t-elle pour autant d’être indemnisée ? Pour en décider, le juge doit, dans un second temps, établir si  l’entreprise était dépourvue de toute chance de remporter le marché, et si elle avait des chances sérieuses d’emporter le marché (cf. CE, 29 décembre 2006, req. n°273783 - ici).
La CAA souligne que la candidature de l’entreprise F est recevable et qu’elle a soumis une offre appropriée, régulière et acceptable. Elle n’était donc pas dépourvue de toute chance de remporter le marché, et a droit au remboursement des frais engagés pour présenter son offre. Mais la cour estime que l’entreprise n’a pas démontré avoir eu une chance sérieuse d’emporter le marché. Il résulte en effet de l’instruction que son offre s’est bornée pour l’essentiel à détailler les modalités actuelles d’exploitation du service sans proposer d’amélioration des prestations, et qu’en outre cette offre est la plus onéreuse parmi celles présentées. En s’abstenant d’attribuer le marché à l’entreprise F, la régie n’a ainsi pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. La malheureuse candidate ne peut donc pas prétendre à l’indemnisation de son manque à gagner. 

Les tiers à un marché ne peuvent se prévaloir de manquements dans l’exécution du contrat

Outre son éviction irrégulière, l’entreprise F estime que la société I, titulaire du marché, a manqué à ses obligations contractuelles et que ces manquement lui sont préjudiciables. En conséquence, elle réclame une indemnisation.
La cour rappelle que « les tiers à un contrat administratif ne peuvent en principe se prévaloir des stipulations de ce contrat, à l’exception de ses clauses réglementaires » (cf. CE, 11 juill. 2011, req. n°339409 - ici). Dès lors, « la qualité de tiers au contrat fait obstacle à ce qu’un requérant se prévale d’une inexécution du contrat dans le cadre d’une action en responsabilité quasi-délictuelle ». La demande de l’entreprise F doit donc être rejetée, étant donné qu’elle est tiers au marché et ne se prévaut pas de ses éventuelles clauses réglementaires. S’agissant de ces dernières clauses, rappelons que les tiers peuvent les contester devant le juge de l’excès de pouvoir (cf. CE, 10 juillet 1996, req. n°138536, Cayzeele - ici).
Retrouvez la décision de la cour administrative d'appel de Bordeaux en cliquant ici (CAA Bordeaux, 15 mars 2012, req. n°10BX02136 - ici)

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