16/02/2012

Insuline : le Conseil de la concurrence renvoie dos à dos Sothema et Laprophan

Le Conseil de la concurrence a finalement soumis, le 22 décembre 2011, au chef du gouvernement son avis consultatif relatif à la saisine de la Chambre de commerce, d’industrie et de services de Casablanca (CCISC) sur les pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par le laboratoire pharmaceutique danois Novo Nordisk, dont le produit est importé et distribué par Laprophan, pour remporter face à la société de thérapeutique marocaine (Sothema) l’appel d’offres pour l’achat de 2,5 millions de flacons d’insuline de 10 ml lancé en mai 2010 par le ministère de la santé. Dans la lettre de la CCISC, qui a usé des prérogatives que lui confère la loi pour la défense des intérêts des entreprises des différents secteurs, Sothema accuse son concurrent, d’une part, d’abus de position dominante en pratiquant des prix prédateurs et, d’autre part, de dumping. Le conseil a renvoyé dos à dos les deux laboratoires après avoir statué uniquement sur le premier point. Le second étant jugé irrecevable. Le rejet est motivé par le fait que Sothema avait déjà saisi le ministère du commerce extérieur qui est habilité par la Loi relative au commerce extérieur à traiter ce genre de questions.
Dans cette affaire, le Conseil de la concurrence a ratissé large pour rendre un avis circonstancié. Tout le fonctionnement du marché public ou hospitalier de l’insuline, depuis 2001, a ainsi été épluché et les différentes parties prenantes écoutées. Avant de rendre son avis définitif, le conseil avait aussi transmis, en juillet dernier, ses premières conclusions aux deux sociétés pour leur permettre de formuler leurs remarques.

Un marché de 3,3 millions de flacons

Le grand gagnant dans cette histoire n’est autre que la société Polymedic -aujourd’hui absente sur ce marché- pourtant non impliquée directement, parce que le conseil s’arroge le droit, comme le veut la jurisprudence internationale, de défendre l’ordre public économique, au lieu de se limiter aux plaintes des parties concernées. En effet, dans le rapport que La Vie éco a pu consulter, l’institution met en évidence l’existence d’une position dominante collective de Novo Nordisk/Laprophan et de Sothema et souligne avoir relevé des indices conduisant à de fortes présomptions quant à l’utilisation de cette situation par ces sociétés qui contrôlent respectivement 48,85% et 47,18% du marché public (en valeur) de l’insuline, alors que Polymedic n’en avait que 3,97%, suite au seul marché portant sur la fourniture de 590 000 flacons qu’elle a remporté en 2006 après avoir obtenu, à titre dérogatoire, l’autorisation d’importer le produit en attendant le démarrage de sa production locale.
Sothema a donc eu un revers sur la question de la position dominante. Elle a aussi droit à une désillusion à propos des prix prédateurs. Le conseil a jugé que la politique tarifaire de Novo Nordisk/Laprophan ne revêt pas le caractère de prix prédateurs, et qu’elle n’a pas pour finalité d’écarter le concurrent du marché public de l’insuline.
En revanche, les deux protagonistes sont cloués au pilori pour avoir adopté une démarche identique en matière tarifaire après qu’ils aient réussi à exclure Polymedic de ce marché. Assurément, les informations fournies par celle-ci ont lourdement pesé sur les décisions du conseil parce qu’elles ont permis de corroborer les constats qui se sont dégagés de l’analyse des différentes statistiques sur les prix du produit objet du différend. Selon Polymedic, les deux concurrents ont commencé par baisser leurs prix dès qu’ils se sont aperçus qu’elle s’intéressait au marché, avant de renouer avec la hausse, tout en se partageant les lots, une fois qu’elle a été évincée.
Le conseil a pris acte des explications de Sothema et Laprophan sur les moyens qui leur ont permis de comprimer les prix, dont des prix fournisseurs avantageux. Il est toutefois conforté dans ses soupçons d’exploitation abusive de leur position dominante collective. Les deux sociétés ne se sont livrées une véritable concurrence qu’en 2010 et 2011. Elles n’ont consenti à baisser leur prix lors de l’appel d’offres objet du litige qu’après avoir cru que Polymedic allait soumissionner. Le ministère de la santé avait alors rejeté sa demande d’importation compte tenu de l’existence d’une production locale.
Il ressort du rapport que Laprophan gagne presque systématiquement les appels d’offres sur l’insuline mixte qui constitue 70% du marché. Quant à Sothema, moins bien outillée pour produire ce médicament dans les délais requis, elle a plus de chance sur les lots d’insuline lente et rapide qu’elle remporte en alternance avec son concurrent. Sur les 23 appels d’offres portant sur 55 lots lancés entre 2001 et avril 2011, elle à obtenu 29 lots contre 24 pour Laprophan et seulement 2 pour Polymédic, soit des montants respectifs de 254 MDH, 263 MDH et 21,4 MDH. Le tout représente un marché annuel de 3,3 millions de flacons qui attise toutes les convoitises.