06/06/2011

La commande publique se raréfie, le BTP s'inquiète

Les marchés sont moins nombreux qu'à l'accoutumée en raison des reports de commandes et de la réduction du train de vie de l'Etat. L'arrivée des petits opérateurs a exacerbé la concurrence et les prix sont en baisse.
Les temps sont durs pour le BTP.
Espace publicitaire : Avez-vous besoin d’une formation ou conseil en marchés publics, veuillez prendre directement contact avec le consultant du Centre des Marchés Publics par téléphone au +212 666 716 600 ou par email
Les opérateurs du secteur rapportent une multitude de facteurs qui grèvent leur activité ces derniers mois. En premier lieu, vient une rétractation du volume de marchés publics qui leur sont adressés, ressentie avec plus ou moins de force selon les régions. Ce fléchissement est confirmé au niveau de la Fédération nationale du bâtiment et travaux publics (Fnbtp) qui en a d’ailleurs saisi officiellement le gouvernement.
Les chiffres tendent à conforter la tendance perçue. En effet, la commande publique adressée aux opérateurs du BTP a connu une dégradation respectivement de 2% et 11% en février et mars 2011 (en volume d’appel d’offres) en comparaison avec les mêmes mois de l’année dernière, d’après les statistiques recueillies auprès de Sodipress.com, éditeur du portail marocain spécialisé dans les marchés publics et privés. Confortant cette tendance, les chiffres du ministère des finances font apparaître au 1er trimestre 2011 que les dépenses d’investissement du Budget de l’Etat ont été exécutées tout juste à hauteur de 28%, alors qu’à la même période de l’année passée on en était à un taux de réalisation de plus de 35%.
Au sein de la Fnbtp on explique cet état de fait par plusieurs phénomènes. D’abord, «beaucoup de marchés adjugés ou dont l’attributaire provisoire a été désigné, mais qui n’ont pas été approuvés dans les délais réglementaires et qui sont restés en suspens, ont été annulés. Ce qui a constitué un trou parfois conséquent dans les carnets de commandes de plusieurs entreprises», explique Mustapha Miftah, directeur au sein de la Fédération.

Des entreprises qui s’aventurent hors de leurs territoires traditionnels

A cela s’ajoutent, selon lui, plusieurs facteurs qui font craindre une baisse des investissements publics à savoir la conjoncture politique, les différentes mesures sociales prises par le gouvernement et les appels du Premier ministre à rogner sur les dépenses. Sur ce dernier volet rappelons les directives données par la primature en mars dernier aux administrations publiques les exhortant à faire des coupes dans leurs dépenses d’entretien et de réparation de bâtiments ou de construction de nouveaux locaux.
Mais pour d’autres opérateurs, c’est surtout l’explosion de l’offre qui est préoccupante. «Beaucoup d’entreprises plus ou moins structurées sont arrivées sur le marché ces dernières années et se positionnent systématiquement comme moins disant dans les appels d’offres», se désole Fayçal Lahjouji, directeur général de Sotravo à Casablanca. Ce dernier n’exclut pas le fait que l’on soit loin du faste des années 2008 et 2009 en termes de dynamisme de la commande publique, mais même par rapport à 2010, année jugée plutôt normale, l’activité a été, juge-t-il, ralentie.
Baisse de la demande ou explosion de l’offre, dans ce contexte tendu, l’on se dispute âprement les marchés qui sont lancés. «Il y a trois fois plus d’entreprises que d’habitude pour soumissionner à un même appel d’offres, et le nombre de candidats peut même dépasser la vingtaine», rapporte, Mohamed Gougrid, gérant de Gotame, une PME spécialisée dans la voierie à Aït Melloul dans la région d’Agadir. C’est que plusieurs entités se sont mises à prospecter hors de leur terrain de chasse habituel. «De plus en plus d’entreprises de premier rang basées à Casablanca ou Rabat soumissionnent pour des marchés à Agadir», s’étonne le patron de Gotame.
Ces entreprises qui sortent de leur zone d’opération traditionnelle doivent faire face au double challenge de supporter le surcoût lié au transport du matériel et de la main- d’œuvre et de s’aligner sur l’effort généralisé concédé en matières de marges. A ce titre, plusieurs opérateurs confient avoir rogné leur taux de marge de deux à trois points de pourcentage allant jusqu’à 5 points pour décrocher des marchés.
Certes, les opérateurs peuvent toujours se rabattre sur la demande privée pour donner du tonus à leur activité. Mais cette dernière est toujours en proie à «un ralentissement et la demande ne se redresse toujours pas après la crise de l’immobilier de luxe», précise M. Lahjouji. D’un autre côté, «les mesures prises pour encourager les programmes privés de logement social commencent à peine à se concrétiser sur le terrain», fait-on savoir à la FNBTP. En outre, «les mesures d’encouragement prises par le gouvernement combinées avec les nouvelles exigences en termes de qualité, de confort, d’efficacité énergétique devraient accroître la demande adressée aux entreprises organisées du secteur du bâtiment», anticipe-t-on.

Le public représente 70% de la commande adressée au secteur du BTP

Reste que le salut du secteur ne pourra venir que de la commande publique qui représente plus de 70% de la commande totale adressée aux entreprises pour un chiffre d’affaires qui avoisine actuellement 200 milliards de dirhams, selon les estimations de la fédération. Qui plus est, «les contrats avec le public demeurent plus attrayants puisqu’ils courent généralement sur une plus grande période, et sont donc plus rémunérateurs», estime-t-on à Sogetrama Gls, société spécialisée dans la pose de conduite, filiale du groupe Delta Holding basé à Skhirat.
Mais la commande publique présente un inconvénient : le délai de paiement qui peut peser lourd sur la trésorerie des entreprises. «De 45 à 60 jours auparavant, on est actuellement sur des délais qui dépassent 80 voire 90 jours», rapporte le management d’une grande société basée à Rabat. Certains opérateurs évoquent même des délais allant jusqu’à 150 et 180 jours. Néanmoins, depuis fin mai la situation semble s’être un peu détendue de l’avis général des opérateurs avec le déblocage des paiements auprès de certaines administrations.
Enfin, la recrudescence de la concurrence internationale vient à son tour compliquer la situation du secteur. «Nous assistons à une déferlante d’entreprises de tous les pays exacerbée par l’effet conjugué de la crise financière internationale et l’accélération du rythme de lancement des grands projets d’infrastructures», confirme M. Miftah. Ces entreprises étrangères sont allemandes, turques, chinoises, espagnoles et portugaises et ciblent spécifiquement les grands projets. Plus préoccupant, ces entreprises recevraient des aides multiples et de différentes formes de la part de leurs gouvernements, selon un constat largement partagé par la profession. La conséquence logique en est que ces entreprises pratiqueraient des prix anormalement bas, déstructurant le marché et la concurrence, avec en première ligne les groupes chinois, turcs et portugais. «Un groupement germano-espagnol a récemment proposé la réalisation de tout un chantier au prix auquel nous facturions notre seule matière première», témoigne à ce titre le directeur général d’une entreprise de BTP à Rabat. La clause de préférence nationale conçue pour parer à cet effet est bien prévue par le décret en vigueur sur les marchés publics, «mais n’étant pas obligatoire elle est rarement appliquée par les entreprises», tempère un spécialiste. Le nouveau décret en préparation devrait remédier à cette situation en systématisant l’application de cette clause.
En dépit de toutes ces contraintes, les professionnels du BTP ne se démontent pas, du moins à en croire les chiffres du Haut commissariat au Plan. En effet, l’indicateur synthétique de conjoncture du secteur, résumant les appréciations des opérateurs, s’est amélioré de 0,9 point, au premier trimestre 2011, en comparaison avec le quatrième trimestre 2010. Le mois de mai a connu une hausse de 21% des appels d’offres, selon les chiffres de Sodipress.com, avoisinant les 2 000 marchés lancés. Sachant qu’entre le lancement et l’attribution d’un marché, il s’écoule en moyenne un mois, les spécialistes s’attendent à ce que l’activité du secteur gagne franchement en vigueur dès la fin juin.

FOCUS : L'Afrique, relais de croissance 

Face à un secteur local du BTP qui devient de plus en plus contraignant, les opérateurs nationaux déploient des stratégies d’internationalisation avec l’Afrique comme terrain de chasse privilégié. A vrai dire les plus grands groupes ont enclenché le mouvement il y a des années et ils sont à présent rejoints par de plus en plus d’opérateurs.   
Le mouvement est favorisé par le déploiement des plus grandes banques nationales sur plusieurs pays d’Afrique noire. La Société générale des travaux du Maroc (SGTM), par exemple, qui vient de livrer le pont Hassan II à Rabat, devrait établir prochainement au Burkina Faso un pôle dédié qui devrait chapeauter ses chantiers au Togo et au Mali. L’entreprise est d’ailleurs en phase de livrer un barrage au Burkina et envisage de soumissionner pour la construction d’un aéroport. Sogetrama Gls, société spécialisée dans la pose de conduites, filiale du groupe Delta Holding basé à Skhirat, s’est engouffrée également dans la brèche fin 2010 en s’introduisant au Cameroun, avec des résultats jugés satisfaisants par le management. En somme, la tendance fait son chemin parmi les grands groupes. Pour les PME, en revanche, l’attitude est encore au wait and see. « Quelques lancements ont été opérés en 2010. Et l’on attend un retour sur les expériences pionnières pour être fixé sur l’intérêt des marchés africains», informe Mohamed Gougrid, gérant de Gotame, une PME spécialisée dans la voierie à Aït Melloul dans la région d’Agadir. Source