Suite à la publication de la loi 32-10 relative
aux délais de paiement, il s'avère qu'il existe des établissements publics qui
exercent une activité commerciale, mais qui opèrent leurs achats via les
marchés publics. Va-t-on dans ce cas leur appliquer les intérêts de retard de
la Loi 32-10 ou les intérêts moratoires afférents au décret des marchés
publics ?
En dépit de l'existence des intérêts moratoires,
on remarque que rares sont les entreprises privées qui recouraient à leur
application, craignant que ces établissements publics ne fassent plus appel à
leurs services. Cette loi ne risque-t-elle pas de connaître le même sort que
les intérêts moratoires, du moins vis-à-vis des marchés publics ?
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Les effets de la crise économique et financière
ont mis en exergue l’importance du respect des délais de paiement. Et pour
cause, un bon nombre d’opérateurs économiques ont pointé du doigt le
non-respect des délais de paiement comme étant un lourd fardeau sur la trésorerie.
Afin de mettre un terme à de tels abus, le législateur avait mis en place la
loi 32-10 relative aux délais de paiement. Son décret d'application a été
publié au Bulletin Officiel du 30 juillet 2012.
Avant le 06 octobre 2011 (date de publication de
la loi 32-10), seule la loi 06-99 sur les prix et la concurrence interdisait de
pratiquer des délais de paiement discriminatoires et non justifiés à l’égard
d’un partenaire économique (article 54 de la loi 06-99) (voir
www.financenews.press.ma).
Les délais sont en général librement fixés entre
partenaires, laissant la plupart du temps le rôle de décision à la partie la
plus forte économiquement. Avec l’adoption de la loi 32-10, les dispositions du
titre IV du livre premier de la loi no 15-95 sont complétées par un chapitre
intitulé «Les délais de paiement».
Souvent, dans les transactions commerciales
entre des opérateurs économiques et ceux relevant du secteur public, de
nombreux paiements sont effectués au-delà des délais convenus dans le
contrat. Des retards qui, faut-il le rappeler, augmentent le risque de
vulnérabilité des entreprises. Un risque qui ne fait qu’augmenter en période de
ralentissement économique où l’accès au financement bancaire est des plus
difficiles. Toutefois, en vue d’être menée à bien, la loi devrait être
respectée également par l’Etat et ses services.
Conflit de loi !
Avec la loi 32-10, une lueur d’espoir illumine
désormais les visages du patronat.
La CGEM a annoncé qu’elle a obtenu une réduction
des délais de paiement auprès du gouvernement. Il s’agit de l’adoption d’un
taux de pénalité dissuasif, soit le taux directeur de BAM majoré de 7 points de
base. Le principe d’appliquer à l’Etat des pénalités de retard n’est pas
nouveau. Il existe le décret afférent aux marchés publics autorisant le
paiement d’intérêts moratoires aux titulaires des marchés de l’Etat. Il existe
deux catégories de délais de paiement consentis entre les entreprises publiques
lors d'échanges commerciaux. Il s'agit des délais issus des pratiques courantes
et coutumes propres à chaque métier ou corporation, et ce avec force de contrat
ou sans contrat, et la réglementation des marchés publics avec obligation de
respecter les délais (maximum de 90 jours) et intérêts moratoires (difficiles à
récupérer et insignifiants).
Or, il s’avère qu’il existe des établissements
publics qui exercent une activité commerciale mais qui opèrent leurs achats via
les marchés publics. Dans ce cas de figure, que va-t-on leur appliquer ? Les
intérêts de retard figurant dans la loi 32-10, ou les intérêts moratoires ?
D’après A. Raounak d’Ingénieurs Conseils et
expert en matière d’établissements publics, «la question n’est pas encore
tranchée. Elle n’est même pas encore posée. Toutefois, la logique veut que la
loi remplace le décret relatif aux marchés publics». Il s’empresse d’ajouter :
«En plus de cela, même les taux appliqués ne sont pas les mêmes. Pour ce qui
est des intérêts moratoires, ils sont indexés aux bons du Trésor, alors que
ceux de la loi 32-10 le sont au taux de BAM». Il faut supprimer l’ancien
décret, mais c’est un point de vue propre.
D’après maître S. Naoui, «il y a une règle
législative qui stipule que la loi spéciale prime sur la loi générale dans la
pratique. Ainsi, dans ce cas, les intérêts qui doivent être appliqués sont les
intérêts de retard fixés par la loi 32-10. En effet, la loi précitée n°32-10
fixe le délai de paiement à soixante jours maximum, quand le délai pour régler
les sommes dues n'est pas convenu entre les parties ; et à quatre-vingt dix
jours maximum à compter de la date de réception des marchandises ou d'exécution
de la prestation demandée s'il est convenu entre les parties, tout en prévoyant
des pénalités de retard exigibles sans formalités en cas de retard de
paiement».
Reste que l'efficacité de son application dépend
de la responsabilité de l'ensemble des opérateurs aussi bien publics que
privés, souligne la CGEM. «Aux administrations et aux entreprises de ne pas
contourner la loi en bloquant les réceptions et attachements, à la CGEM de
sensibiliser les entreprises», insiste l'organisation patronale.
Quid des mesures d’accompagnement ?
Durant la dernière rencontre initiée par le
Conseil économique et social sur l’impact de la commande publique sur la
croissance, Bachir Rachdi, membre du CES, a cité, entre autres, la
problématique des délais de paiement qui a remonté fortement lors des auditions
des 400 entreprises ayant participé à l’enquête. Il s’explique : «D’abord, il y
a la notion de décompte qui élimine une cause de retard des paiements, ce qui
fait que les attachements sont périodiques, donc permettent à l’entreprise
d’agir sur la réception, c’est-à-dire le constat des attachements et des
paiements correspondants. Par contre, dans beaucoup d’autres natures de
marchés, la réception est une cause fondamentale du retard. C’est-à-dire que le
service est fait, mais qu’il n’est pas acté formellement, et donc le délai de
paiement ne peut être par conséquent enclenché». «Et même pour ce deuxième
aspect, il y a plusieurs cas où on a constaté des délais aberrants, et ce
malgré le décret sur les intérêts moratoires qui oblige l’administration
à s’y conformer», explique-t-il. En l’absence de mesures d’accompagnement des
établissements publics, ça verse dans l’impunité.
Il s’agit là d’un problème crucial parce qu’il
dissuade les entreprises à participer aux marchés publics. Cela se traduit par
l’absence d’offres plus compétitives à même de générer la croissance.
Aujourd’hui, il semble que le problème est en
voie de résolution grâce à l’adoption de la loi 32-10 sur les délais de
paiement. Encore faut-il qu’elle n’ait pas le même sort que la disposition des
intérêts moratoires qui n’a jamais eu de traduction sur le terrain. On
remarquait que les entreprises ne contestaient pas. Elles craignaient que les
établissements publics ne fassent plus appel à leurs services. Pour Maître
Naoui, «c’est aux autorités publiques qu’incombe la responsabilité de veiller à
l’application des lois. Faute de quoi, cette loi ne servirait à rien et ne
remédierait en rien à la problématique des délais de paiements qui asphyxie la
trésorerie des entreprises. Et c’est au niveau du contrôle et à la bonne
application de ladite loi que l’on peut juger l’efficacité et la responsabilité
de l’Etat».
Un avis partagé par A. Raounak qui estime
que si l’Administration ne veut pas appliquer la loi et si l’entreprise ne
conteste pas son droit, on pourrait dire que les deux sont complices.