23/09/2012

Marchés publics : Les intérêts moratoires ou la loi 32-10 ?

Suite à la publication de la loi 32-10 relative aux délais de paiement, il s'avère qu'il existe des établissements publics qui exercent une activité commerciale, mais qui opèrent leurs achats via les marchés publics. Va-t-on dans ce cas leur appliquer les intérêts de retard de la Loi 32-10 ou les intérêts moratoires afférents au décret des  marchés publics ?
En dépit de l'existence des intérêts moratoires, on remarque que rares sont les entreprises privées qui recouraient à leur application, craignant que ces établissements publics ne fassent plus appel à leurs services. Cette loi ne risque-t-elle pas de connaître le même sort que les intérêts moratoires, du moins vis-à-vis des marchés publics ?
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Les effets de la crise économique et financière ont mis en exergue l’importance du respect des délais de paiement. Et pour cause, un bon nombre d’opérateurs économiques ont pointé du doigt le non-respect des délais de paiement comme étant un lourd fardeau sur la trésorerie. Afin de mettre un terme à de tels abus, le législateur avait mis en place la loi 32-10 relative aux délais de paiement. Son décret d'application a été publié au Bulletin Officiel du 30 juillet 2012.
Avant le 06 octobre 2011 (date de publication de la loi 32-10), seule la loi 06-99 sur les prix et la concurrence interdisait de pratiquer des délais de paiement discriminatoires et non justifiés à l’égard d’un partenaire économique (article 54 de la loi 06-99) (voir www.financenews.press.ma).
Les délais sont en général librement fixés entre partenaires, laissant la plupart du temps le rôle de décision à la partie la plus forte économiquement. Avec l’adoption de la loi 32-10, les dispositions du titre IV du livre premier de la loi no 15-95 sont complétées par un chapitre intitulé «Les délais de paiement».
Souvent, dans les transactions commerciales entre des opérateurs économiques et ceux relevant du secteur public, de nombreux paiements sont effectués au-delà des délais convenus dans le contrat.  Des retards qui, faut-il le rappeler, augmentent le risque de vulnérabilité des entreprises. Un risque qui ne fait qu’augmenter en période de ralentissement économique où l’accès au financement bancaire est des plus difficiles. Toutefois, en vue d’être menée à bien, la loi devrait être respectée également par l’Etat et ses services.

Conflit de loi !
Avec la loi 32-10, une lueur d’espoir illumine désormais les visages du patronat.
La CGEM a annoncé qu’elle a obtenu une réduction des délais de paiement auprès du gouvernement. Il s’agit de l’adoption d’un taux de pénalité dissuasif, soit le taux directeur de BAM majoré de 7 points de base. Le principe d’appliquer à l’Etat des pénalités de retard n’est pas nouveau. Il existe le décret afférent aux marchés publics autorisant le paiement d’intérêts moratoires aux titulaires des marchés de l’Etat. Il existe deux catégories de délais de paiement consentis entre les entreprises publiques lors d'échanges commerciaux. Il s'agit des délais issus des pratiques courantes et coutumes propres à chaque métier ou corporation, et ce avec force de contrat ou sans contrat, et la réglementation des marchés publics avec obligation de respecter les délais (maximum de 90 jours) et intérêts moratoires (difficiles à récupérer et insignifiants).
Or, il s’avère qu’il existe des établissements publics qui exercent une activité commerciale mais qui opèrent leurs achats via les marchés publics. Dans ce cas de figure, que va-t-on leur appliquer ? Les intérêts de retard figurant dans la loi 32-10, ou les intérêts moratoires ?
D’après A. Raounak d’Ingénieurs Conseils et expert en matière d’établissements publics, «la question n’est pas encore tranchée. Elle n’est même pas encore posée. Toutefois, la logique veut que la loi remplace le décret relatif aux marchés publics». Il s’empresse d’ajouter : «En plus de cela, même les taux appliqués ne sont pas les mêmes. Pour ce qui est des intérêts moratoires, ils sont indexés aux bons du Trésor, alors que ceux de la loi 32-10 le sont au taux de BAM». Il faut supprimer l’ancien décret, mais c’est un point de vue propre.

D’après maître S. Naoui, «il y a une règle législative qui stipule que la loi spéciale prime sur la loi générale dans la pratique. Ainsi, dans ce cas, les intérêts qui doivent être appliqués sont les intérêts de retard fixés par la loi 32-10. En effet, la loi précitée n°32-10 fixe le délai de paiement à soixante jours maximum, quand le délai pour régler les sommes dues n'est pas convenu entre les parties ; et à quatre-vingt dix jours maximum à compter de la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée s'il est convenu entre les parties, tout en prévoyant des pénalités de retard exigibles sans formalités en cas de retard de paiement».

Reste que l'efficacité de son application dépend de la responsabilité de l'ensemble des opérateurs aussi bien publics que privés, souligne la CGEM. «Aux administrations et aux entreprises de ne pas contourner la loi en bloquant les réceptions et attachements, à la CGEM de sensibiliser les entreprises», insiste l'organisation patronale.

Quid des mesures d’accompagnement ?
Durant la dernière rencontre initiée par le Conseil économique et social sur l’impact de la commande publique sur la croissance, Bachir Rachdi, membre du CES, a cité, entre autres, la problématique des délais de paiement qui a remonté fortement lors des auditions des 400 entreprises ayant participé à l’enquête. Il s’explique : «D’abord, il y a la notion de décompte qui élimine une cause de retard des paiements, ce qui fait que les attachements sont périodiques, donc permettent à l’entreprise d’agir sur la réception, c’est-à-dire le constat des attachements et des paiements correspondants. Par contre, dans beaucoup d’autres natures de marchés, la réception est une cause fondamentale du retard. C’est-à-dire que le service est fait, mais qu’il n’est pas acté formellement, et donc le délai de paiement ne peut être par conséquent enclenché». «Et même pour ce deuxième aspect, il y a plusieurs cas où on a constaté  des délais aberrants, et ce malgré le décret sur les intérêts moratoires qui oblige l’administration  à s’y conformer», explique-t-il. En l’absence de mesures d’accompagnement des établissements publics, ça verse dans l’impunité.
Il s’agit là d’un problème crucial parce qu’il dissuade les entreprises à participer aux marchés publics. Cela se traduit par l’absence d’offres plus compétitives à même de générer la croissance.
Aujourd’hui, il semble que le problème est en voie de résolution grâce à l’adoption de la loi 32-10 sur les délais de paiement. Encore faut-il qu’elle n’ait pas le même sort que la disposition des intérêts moratoires qui n’a jamais eu de traduction sur le terrain. On remarquait que les entreprises ne contestaient pas. Elles craignaient que les établissements publics ne fassent plus appel à leurs services. Pour Maître Naoui, «c’est aux autorités publiques qu’incombe la responsabilité de veiller à l’application des lois. Faute de quoi, cette loi ne servirait à rien et ne remédierait en rien à la problématique des délais de paiements qui asphyxie la trésorerie des entreprises. Et c’est au niveau du contrôle et à la bonne application de ladite loi que l’on peut juger l’efficacité et la responsabilité de l’Etat».

Un avis partagé par A. Raounak qui estime que si l’Administration ne veut pas appliquer la loi et si l’entreprise ne conteste pas son droit, on pourrait dire que les deux sont complices.